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Josette et Maurice Audin: En hommage aux disparus de la guerre d’Algérie

par Youcef Dris*

Le mois de février aura marqué l’histoire de la famille Audin, Maurice et Josette son épouse. Maurice Audin, né le 14 février 1932 à Béja (Tunisie), est un mathématicien français. Assistant à l’université d’Alger, il est membre du Parti communiste algérien et militant de l’indépendance algérienne. Il est déclaré mort le 21 juin 1957 à Alger.

Le jeune homme était assistant en mathématiques à la faculté d’Alger, adhérant du Parti communiste algérien (PCA) et militant anticolonialiste. Il a 25 ans quand les militaires viennent l’arrêter, le mardi 11 juin 1957, à 23 heures, dans son appartement de la rue Flaubert, au cœur du quartier du Champ-de-Manœuvre, à Alger. En 1957, Josette Audin et son mari vivent à Alger et sont âgés respectivement de 26 et 25 ans. Le couple a trois enfants, une petite fille de 3 ans et demi et deux petits garçons de vingt mois, et un mois. Tous deux sont membres du Parti communiste algérien qui, à cette époque, est engagé dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. «Depuis le début de l’année 1957 les parachutistes font régner la terreur, ils se promènent dans les villes, arrêtent les passants, ceux naturellement qui sont suspects, c’est à dire les Algériens, pas les Européens, et tout le monde sait que le jour ils paradent auprès des filles et que la nuit ils font leur sale boulot», (témoignage de Josette Audin dans une émission »Le monde en soi», le 3 novembre 2001.)

C’est dans ce contexte que tous deux mènent des activités clandestines au sein du parti. En parallèle, le mathématicien est assistant à la faculté des sciences d’Alger. Sa thèse est presque aboutie lorsqu’il est arrêté dans la nuit du 11 juin 1957. (Elle sera finalement soutenue «in absentia» à la Sorbonne, six mois après sa disparition, par son directeur de thèse René de Possel.)

Josette son épouse s’inquiète auprès des soldats venus l’arrêter, et leur demande quand son époux va revenir. L’un des militaires lui répond : «S’il est raisonnable, il sera de retour ici dans une heure.». Maurice Audin est conduit dans un immeuble en construction d’El-Biar, sur les hauteurs de la ville, transformé en centre de détention par l’armée française. Torturé à mort, exécuté, il n’en est jamais revenu. Le 1er juillet 1957, vingt jours après l’arrestation, un lieutenant-colonel tente de faire croire à Josette Audin que son mari s’est évadé lors d’un transfert. Alors, elle dépose plainte contre X pour homicide volontaire.

Les parachutistes et le scénario fiction

Josette Audin n’a même pas pu voir la dépouille de son mari : «Peut-être parce qu’il était européen, universitaire, les militaires ont essayé d’inventer une histoire. Les parachutistes de Bigeard ont imaginé un scénario de Maurice Audin s’enfuyant, s’étant échappé d’entre leurs mains. Evidemment, c’était complètement improbable, impossible. Non seulement ils ont torturé jusqu’à la mort, mais en plus, le fait de faire disparaître les gens participait à la terreur qu’ils faisaient régner sur la ville».

L’épouse du mathématicien témoigne être restée quatre jours en compagnie de parachutistes et de policiers (qui restaient à son domicile), n’ayant autre chose à faire que se ronger les sangs : «A cette époque on savait que les gens qui étaient arrêtés étaient automatiquement torturés, donc forcément, je ne pensais qu’à ça, qu’il était certainement torturé.» Elle assiste le lendemain à l’arrestation du journaliste Henri Alleg, ami de Maurice Audin, venu à leur domicile : »Il s’était présenté chez nous. Il a essayé de faire croire qu’il était là pour renouveler l’assurance de mon mari mais les parachutistes n’ont pas été dupes. Ils ont téléphoné au lieutenant Charbonnier qui est venu très vite le chercher.»

Josette Audin, morte samedi 2 février 2019, s’était battue toute sa vie pour que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité dans la disparition de son mari, le mathématicien Maurice Audin, pendant la guerre d’Algérie. Elle aura passé la majorité de sa vie à tenter de faire la lumière sur les circonstances de l’assassinat de son mari, Maurice Audin.

La dernière fois où elle reçut des journalistes, c’était à la mi-décembre 2019. Il lui a été demandé ce qu’elle avait emporté, en 1966, quand elle avait quitté l’Algérie pour rejoindre la France, en passant par le Maroc et l’Espagne, avec ses trois enfants. Comme souvent, Josette Audin avait d’abord répondu par un silence. Puis elle avait lâché six mots, pas un de plus. »J’ai pris les choses importantes, les livres et les photos.» Les livres qui avaient traversé la Méditerranée étaient encore-là, un demi-siècle plus tard, dans la bibliothèque de son salon, perché au cinquième étage d’un immeuble blanc de Bagnolet, en banlieue parisienne. Lieu es situé dans le Bassin parisien, dans la région Île-de-France, limitrophe de Paris, ce qui change énormément du Champ-de-Manœuvre où vécurent les époux Audin et où sont nés leurs enfants. Avec les livres, il y avait les photos aussi, les rares portraits en noir et blanc, visage resté à jamais enfantin, de son mari Maurice Audin. Le combat de toute sa vie. A cette époque, Josette, 26 ans, était là. Leurs trois enfants, Michèle, 3 ans, Louis, 1 an et demi, et Pierre, 1 mois, aussi. Sans Josette, a l’habitude de dire sa fille Michèle, mathématicienne, il n’y aurait pas eu d’affaire Audin.

Pierre Audin, fils de Maurice et de Josette, mathématicien comme son père, est auteur de nombreux ouvrages, dont «Une vie brève» (Gallimard), un livre très émouvant sur son père.

L’épouse éplorée participe à la création d’un Comité Maurice Audin. Elle va inlassablement sonner à toutes les portes, celles des avocats, des journalistes, des militants des droits de l’homme, des politiques, pour faire éclater la vérité sur la disparition de son mari. Elle qui, le 15 février prochain, aurait dû avoir 88 ans, aura été veuve très jeune. Elle aura aussi connu une enfance un peu grise, de celles que raconte Albert Camus dans son roman autobiographique et inachevé, «le Premier homme». Elle est née et a grandi à Bab-el-Oued, le quartier algérois des Européens les plus modestes. Avant de disparaître, et dans un souffle, elle avait murmuré : »Tous les militaires impliqués dans l’affaire Audin sont morts tranquillement ou vont bientôt mourir sans avoir dit ce qu’ils avaient fait de Maurice Audin».

Josette Audin est morte il y a un an jour pour jour, sans savoir comment a été tué son mari. Et c’est une tristesse supplémentaire pour tous ceux qui l’ont connue.

Comme Josette, c’est un devoir important que de participer à faire connaître les ressorts de l’affaire de l’assassinat de Maurice Audin, aujourd’hui établi, ainsi que celle des disparus de la guerre d’indépendance algérienne. Cet acte de l’Histoire devrait s’inscrire dans la perspective du droit à la vérité, mais aussi du devoir de mémoire, qui en est le corollaire.

Outre un intérêt personnel de nombre de militants de sa génération, l’histoire de la disparition de Maurice Audin, et la dénonciation de la guerre en Algérie par cette affaire, nous tous Algériens et parents de disparus sommes intéressés par la question de la réparation des injustices subies par le passé, même si rien ne répare jamais vraiment la souffrance causée aux proches d’un disparu. Dans le cas de Maurice Audin comme dans tous les autres, il manque toujours la vérité sur les circonstances de sa mort.

Emmanuel Macron président de la République française avait choisi de reconnaître enfin la responsabilité de l’Etat dans la mort du mathématicien français communiste, enlevé chez lui à Alger par des parachutistes dans la nuit du 11 juin 1957, et jamais reparu. L’Elysée avait reconnu que Maurice Audin était «mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France», annonçant «l’ouverture des archives sur le sujet des disparus civils et militaires, français et algériens.

Comme Maurice Audin, des milliers d’Algériens disparaîtront du fait des forces de l’ordre françaises pendant la guerre d’Algérie. Emmanuel Macron a promis l’ouverture des archives pour sortir leur trace du brouillard du récit officiel et du refoulé. Historiens et familles l’attendent encore. Un an a passé depuis ces mots d’Emmanuel Macron chez Josette Audin. Entre-temps, la veuve de Maurice Audin est décédée à l’âge de 87 ans, le 2 février dernier. Et aucune décision n’est venue prolonger cet engagement présidentiel à »encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, civils et militaires». En un an, aucune circulaire n’a pulvérisé le verrou sur ces archives.

Combien de temps devons-nous attendre encore pour arriver à la vérité ? Quand l’Etat français donnera-t-il cette fameuse dérogation qui donnera accès à ces archives ? Ces fameuses dérogations supposent encore que les documents auxquels on donnerait accès soient déclassifiés par l’autorité qui les a produits (ou en tous cas, l’institution qui en est l’héritière). C’est-à-dire que cela implique que le secret de la défense français soit levé, au coup par coup, pièce par pièce, avec l’aval des autorités concernées.

Autrement dit, un verrou puissant… et un verrou qui entrave drastiquement l’accès à autant de fonds d’archives susceptibles de crever un silence obstiné.

*Ancien journaliste

Le Quotidien d’Oran, 10 fév 2020

Tags : Algérie, Guerre d’Algérie, Maurice Audin, Josette Audin, France,

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