Les poissons et les réfugiés sahraouis, «Solo son peces»

Trois femmes montent une ferme piscicole dans un camp de réfugiés en plein milieu du désert algérien. Dans leur documentaire « Solo son peces » (« Ce ne sont que des poissons »), les cinéastes espagnoles Paula Iglesias et Ana Serna traitent la question des réfugiés sahraouis d’une manière aussi décalée que séduisante.

envoyé spécial à Biarritz,

Présenté en première internationale au Fipadoc, à Biarritz, après avoir gagné le Grand prix du Festival du documentaire de Bilbao, le court métrage Solo son peces, a tout pour faire parler de lui.

Une canne à pêche en plein désert

Le voyage commence avec une image qu’on n’est pas prêt d’oublier : habillée d’une robe bleue comme la mer, une femme est assise en plein désert, avec une canne à pêche dans la main. « Le temps du documentaire est l’attente », ainsi explique la cinéaste Paula Iglesias cette mise en scène. « Pour cela, nous avons choisi cette image un peu surréaliste pour exprimer la situation dans les camps de réfugiés. Cela fait 40 ans qu’ils sont là. C’est une situation difficile. »

En effet, loin de leur patrie, Teslem, Dehba et Jadija ont décidé de réaliser un rêve. Installer une ferme piscicole en plein désert, là où les températures frôlent souvent les 50 degrés à l’ombre, pour nourrir un camp de réfugiés sahraouis. Une idée folle ?

« Oui, beaucoup de gens pensent qu’il s’agit d’une idée folle. Mais, c’est lié à la situation de ces gens vivant en plein désert depuis des décennies. Elever ici des poissons, c’est difficile. Elles-mêmes, elles ne savent pas si cela va fonctionner. Elles essaient. Peut-être cela marchera, peut-être pas. »

Ce ne sont que des poissons

Pour filmer dans un territoire en conflit, il faut être prêt à tout, comme ces femmes fortes et résolument optimistes : « le succès du projet dépend de nous. De quoi avoir peur ? Ce ne sont que des poissons. » Nuit et jour, elles s’occupent de leurs « bébés » dans le bloc de reproduction. Et quand elles regardent les poissons répartis dans des toutes petites piscines, elles s’exclament : « les poissons fuient la mort parce que, comme l’homme, ils aiment la vie ».

Avec leurs blouses blanches et leurs voiles colorés, les trois entrepreneuses se penchent sur les bassins pour mesurer la salinité et détecter les maladies. Chaque jour apporte sa sagesse. Aujourd’hui, elles étudient le tilapia, ce poisson venant du Nil, un migrant sans habitat naturel, bref : « c’est aussi un réfugié ».

« On voulait faire un parallèle entre les poissons et les réfugiés dans les camps, avance la cinéaste. Beaucoup de choses sont pareilles. Quand on voit les piscines avec les poissons… Certains poissons traversent des pays pour chercher de la nourriture. Ces femmes font la même chose : elles partent et retournent pour nourrir leur pays. Et ce désert n’est même pas leur pays. »

« Ce qui me fait vraiment honte… »

Le film glisse alors de situations anodines vers la colère : « Ici, nous souffrons d’un manque de protéines, mais ce qui me fait vraiment honte, c’est que même dans les Territoires occupés, les Sahraouis ne sont pas autorisés à profiter de la richesse de leurs eaux pour la pêche. »

C’est alors que la cinéaste fait entrer l’histoire de la création des frontières au Sahara occidental par les puissances européennes pour démontrer à quel point le projet des trois femmes touche à la question très sensible du Sahara occidental d’aujourd’hui :

« Le projet de l’élevage de poissons est un projet pour se maintenir plus longtemps dans ce territoire, remarque Paula Iglesias. En même temps, elles ne peuvent pas survivre longtemps dans ce lieu, parce qu’il est impossible de vivre là-bas sans aide humanitaire. On doit donc repenser la situation du Sahara occidental. C’est la dernière colonie en Afrique. L’Espagne a fait une mauvaise décolonisation, après le Maroc a envahi leur territoire. »

Le Sahara occidental, le Maroc et l’Union européenne

À la fin du film, les femmes boivent du thé et allument la télé. Dans le journal, le mouvement sahraoui du Front Polisario condamne le pillage des ressources du Sahara occidental après l’approbation de l’accord de pêche entre l’Union européenne et le Maroc. Un accord qui inclut le Sahara occidental occupé. Le Front Polisario accuse alors l’Union européenne, « avec l’Espagne et la France en tête, de perpétuer le conflit ».

Pendant le Festival international du documentaire de Biarritz, une nouvelle dépêche est tombée : le Maroc a adopté deux nouvelles lois pour élargir son emprise aux eaux territoriales du Sahara occidental.

►Solo son peces, court métrage d’Ana Serna et Paula Iglesias, 17 min, en compétition au Festival international du documentaire (Fipadoc 2020), du 21 au 26 janvier, à Biarritz.

Source : RFI, 25 jan 2020

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