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Maroc : cette explosion sociale qui vient

Rabia Franoux Moukhlesse

Tous les expatriés volontaires du monde éprouvent un sentiment de nostalgie pour leur pays d’origine. Souvent ils fantasment sur la réalité de ce dernier n’ayant pas suivi les évolutions de mentalités, les changements urbains, les modifications politiques etc.

Mon cas est bien particulier ayant quittée le Maroc en 1999, soit à la mort du Roi, laissant derrière moi un Royaume plein d’espoirs sur les changements à venir avec ce nouveau souverain que l’on appelait le « roi des pauvres ». Après les années de plomb et malgré l’ouverture opérée dans les années 90, les marocains espéraient un renouveau total. Le changement étant toujours pour demain, le Maroc a vécu les révolutions arabes à travers ce que l’on a appelé le mouvement du 20 Février. Le trône a semblé vaciller et des changements constitutionnels ont été opérés pour calmer les esprits. Et voilà que 10 ans de plus ont passés et où en sommes-nous ?

PROMESSES NON TENUES

Les riches sont plus riches et les pauvres sont plus pauvres. Rien de choquant me direz-vous, puisque c’est le cas dans presque tous les pays ! Et bien pas tout à fait. Car le Maroc assume pleinement ces écarts humainement monstrueux. Casablanca recense plus de 8.000 millionnaires en dollars ce qui est plus que Londres, New York ou Hong-Kong. Les investisseurs étrangers se pressent attirés par les exonérations de taxes, la main d’œuvre bon marché et un point d’ancrage stable politiquement en Afrique.

Les grandes sociétés marocaines n’ont jamais gagné autant d’argent, des fortunes personnelles ont été multipliées par 3 ou 4 en moins de 5 ans. Vous pouvez croiser quotidiennement les derniers modèles de grosses voitures qu’un Européen ne verra que dans les publicités. Des maisons de 400 ou 500 m² habitables poussent comme des champignons.

Regardez cette masse de jeunes sans travail qui rêvent de l’Europe et risquent leur vie pour accéder à une vie sans faim.

Tout ceci côtoie une classe moyenne qui se paupérise face au coût de la vie après avoir récemment émergé et surtout une cohorte de pauvres faisant l’immense majorité du Maroc. Voyez au-delà des images de cartes postales touristiques ces bidonvilles où les eaux usées coulent au milieu du chemin. Tous ces gens qui s’entassent dans 20m² recouverts de tôles, souffrant de la chaleur et du froid. La populace qui prend à 7 ou 8 un taxi le matin pour aller pointer à l’usine ou venir dans les belles villas valant 1 million d’euros en tant que jardinier, femme de ménage, cuisinière, homme à tout faire pour 300 euros par mois.

Regardez cette masse de jeunes sans travail qui rêvent de l’Europe et risquent leur vie pour accéder à une vie sans faim. Croisez ces hordes de mendiants à chaque coin de rue… Et comprenez les attentes d’une jeunesse qui veut vivre décemment, qui souhaite un peu de liberté, qui attend une meilleure répartition de toutes ces richesses qui s’étalent avec indécence devant leurs yeux, qui veut des infrastructures dignes d’un pays en développement au lieu d’écoles privés, d’hôpitaux en souffrance et de mosquées pour seul refuge.

RÉPONSE SÉCURITAIRE

On obtient donc une situation explosive où les citoyens sont à bout de nerf et n’ont plus rien à perdre. Ils ne leur restent plus au pire qu’à se laisser embrigader dans un islam radicalisé qui leur promet un monde meilleur dans l’au-delà, un peu de considération ici-bas mais à condition d’essaimer leur vision délétère et la violence qui va avec. Et au mieux, de parler, revendiquer, dénoncer les injustices et les abus en espérant que les choses vont changer.

Vous avez le cocktail (sans alcool) d’une explosion programmée

Or, la réponse est toujours la même. Avant tout sécuritaire pour que rien ne change et surtout pas les privilèges. A chaque mot de trop, de critique, de manifestation ou d’information gênante pour les dirigeants, une cohorte de fonctionnaires zélés, nostalgiques des années de plomb où chaque tête qui dépassait disparaissait du paysage intervient et frappe de toutes ses forces. On assiste là aussi à une radicalisation de la répression. Toute personne ayant l’audace de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas doit faire face au système judiciaire. La parole n’est pas libre. L’information n‘est pas libre.

La société n’est pas libre. Un simple tweet, un blog, une chanson, une enquête d’investigation, une attitude postée sur face book, une « morale » non conforme aux mœurs d’un autre temps et vous pouvez gouter à l’hospitalité des prisons marocaines pour 4, 5 ou 25 ans. Les exemples sont nombreux de ces condamnations et s’accélèrent ces derniers temps dans l’indifférence et la méconnaissance totale, volontaire ou non, du reste du monde.

Une population qui n’a rien à perdre même plus la vie, des privilégiés qui ne lâchent rien, des religieux qui ne rêvent que de mettre en place un califat basé sur la charia et vous avez le cocktail (sans alcool) d’une explosion programmée. Alors pour vos prochaines vacances, profitez vite du Maroc typique, de ses hôtels et golfs, de ses lieux de fêtes car il se pourrait bien qu’un jour il ressemble plus à l’Irak qu’au pays ouvert aux étrangers et à l’hospitalité légendaire.

#saffibaraka (Ca suffit)

Source : Marianne, 11 jan 2020

Tags : Maroc, inégalités, pauvreté, injustice, répression, richesse,

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