Debbouze, le bouffon du roi du Maroc (Le roi prédateur)

Debbouze, le bouffon du roi

Un autre Franco-Marocain fait partie de la « République de Sa Majesté » : Jamel Debbouze, figure emblématique du monde du spectacle et du show-biz en France. Son premier contact avec le palais royal date de juin 1993 et ressemble à une scène de théâtre burlesque. C’était à la veille du tournage de Sacrée soirée, l’émission populaire de TF1 animée à l’époque par Jean-Pierre Foucault et consacrée au Maroc. Accompagné de Khalid El Quandili, ancien champion de full-contact franco-marocain, Jamel Debbouze faisait partie d’un groupe de « jeunes beurs » présentés au roi Hassan II, invité de marque de l’émission. « J’ai réuni des sportifs, des responsables associatifs, avec en prime le petit Jamel qui a présenté un sketch, raconte El Quandili—.
La cérémonie s’est tenue dans la plus grande salle de l’hôtel Hyatt Regency à Rabat en juin 1993.

Dès le lendemain, le roi Hassan II m’a fait appeler par son secrétaire. Il souhaite me rencontrer avec les sportifs du groupe. Or, ces derniers étant pour la plupart déjà rentrés en France, calendrier de compétition oblige, je les ai remplacés par les autres membres de la délégation, dont le fidèle Rachid Benzine ainsi qu’Ahmed Ghayet […] Jamel est venu lui aussi. Je l’avais placé en tête du groupe car il était le plus petit, le plus jeune, et encore très intimidé. Nous avons été reçus par le roi sans un soupçon de protocole. Hassan II était entouré de tous les membres de sa famille, enfants et petits-enfants, ce qui est tout à fait exceptionnel. Le roi nous a dit : “Je vous reçois tous comme si vous étiez mes propres enfants.” Je lui ai présenté Jamel. Il l’a scruté, s’est montré intrigué et m’a demandé s’il était lui aussi un sportif. J’ai répondu : “Non, c’est un comique.” Ce qui a provoqué l’hilarité générale aussi bien du côté de la délégation que de la famille royale. Jamel, terrorisé, avait réussi à faire rire tout le monde, sans même ouvrir la bouche ! »

En juillet 1999, alors que le roi Hassan II rendait l’âme dans une clinique à Rabat, Jamel Debbouze signait son premier contrat publicitaire avec la plus grande entreprise publique du moment : Maroc Telecom. C’est à lui que le P-DG de cette entreprise, Abdeslam Ahizoune, fraîchement nommé par le roi, a pensé lorsqu’il a décidé de lancer le service de carte prépayée GSM Jawal («l’itinérant » en arabe), phonétiquement proche de « Jamal ». De 300000 francs en juillet 1999, la valeur du contrat est passée à 3 millions de francs en mars 2000.

Après la mort du roi Hassan II, Jamel est passé sous l’aile protectrice de Mohammed VI, dont il devient l’« ami intime », assurent les proches du comique, « le bouffon » selon ses détracteurs qui lui reprochent sa servilité et son double langage face aux disparités sociales et aux atteintes aux droits de l’homme que connaît le Maroc. « Depuis des années, l’humoriste Jamel Debbouze copine avec le souverain du Maroc, Mohammed VI, et s’interdit toute critique du pouvoir, écrit l’hebdomadaire Marianne—.

Une servilité qui s’inscrit dans la stratégie diplomatique du palais, passé maître dans la récupération des talents marocains à l’étranger. Côté France, un trublion des banlieues, toujours prompt à dénoncer les inégalités sociales et la cécité des puissants, sauf ceux, évidemment, qui mettent des billes dans ses différents business. Côté Maroc, un familier du palais royal, invité à la table du souverain comme le VIP politico-clownesque qu’il est devenu. Les monarques, c’est connu, ont toujours eu leur bouffon. Pour les divertir et les alerter, l’air de rien, sur les travers du pouvoir absolu.

Avec Jamel, la relation est à sens unique. Où est la satire derrière le sourire? Quid de la corruption, de l’affairisme, des entorses aux droits de l’homme et de la presse qui continuent, après une embellie au début des années 2000, de miner la société marocaine ? Sur ces sujets, celui qui se targue d’avoir un haut-parleur à sa disposition reste désespérément silencieux. Mais il tourne à plein régime quand on allume “Radio Courtisanerie”… »

En 2003, Jamel Debbouze fait l’acquisition d’un riad à Marrakech grâce à l’argent que lui a rapporté le film Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2,12 millions d’euros). Acheté à 760 000 euros, le riad est restauré et baptisé « la Chabat House », du nom du réalisateur du film, Alain Chabat. Comme la plupart des célébrités françaises, il en fait un minipalais digne des Mille et
une nuits : « À l’écart du centre-ville, dans un quartier résidentiel proche de la Palmeraie, on ne voit que les murs extérieurs de la propriété située au bout d’une impasse. On y accède par un lourd portail en bois sculpté, qui ouvre sur une cour pavée occupée par un parking, puis un grand jardin avec piscine et cascade. La bâtisse se dresse sur deux niveaux. Au rez-de-chaussée s’étend un immense salon marocain creusé dans le sol, au plafond très haut soutenu par des colonnes, avec un escalier menant à une terrasse offrant une vue panoramique sur la ville. À côté, un couloir dessert une triple cuisine marocaine, six pièces dont quatre miniduplex surmontés de tourelles avec chambre à l’étage et salle de bains en bas. Celle de Jamel, la plus grande, communique avec un boudoir et un bureau dans lequel trône un pupitre en bois précieux sculpté. Pour la décoration, le nouveau maître des lieux chine aux puces de Saint-Ouen et engage sur place soixante artisans marocains qui s’installent durant huit mois dans les jardins de la demeure afin d’y fabriquer des meubles—. »

En mai 2006, Indigènes, qui raconte le sort de ces tirailleurs africains qui se sont battus pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale, aujourd’hui oubliés, est présenté au Festival de Cannes. Il obtient le prix d’interprétation masculine, partagé par les cinq acteurs principaux dont Jamel Debbouze.

Le film, un succès populaire immédiat avec un impact politique considérable, a été tourné en partie au Maroc et bénéficié du soutien effectif du monarque. « Cette œuvre n’aurait jamais vu le jour sans la haute sollicitude et contribution de Sa Majesté le roi Mohammed VI », reconnaît le producteur Abdou Achouba. À travers l’histoire de quatre Maghrébins engagés dans l’armée française pendant le second conflit mondial, le réalisateur d ‘Indigènes Rachid Bouchareb traite de l’ingratitude que subit aujourd’hui une partie de ces tirailleurs. Alors que le président Jacques Chirac l’avait applaudi, certains hommes politiques comme Nicolas Sarkozy l’ont quasiment moqué : « Un film pour bobos parisiens. En mettant Jamel Debbouze en couverture, Le Nouvel Obs a fait sa plus mauvaise vente de l’année. Aucun succès. »

Plus tard, alors que Sarkozy menait sa campagne pour la présidentielle qu’il gagnera en mai 2007, Jamel Debbouze déclarait : « Je suis dégoûté quand j’entends Sarkozy dire qu’il veut nous nettoyer au Karcher. Il nous parle comme si on était de la merde. Je me mets dans le lot, même si je suis bien
loti aujourd’hui. »

Quelques jours après l’élection de Sarkozy, le comique reçoit un appel de Mohammed VI qui le somme poliment de contribuer au maintien des bonnes relations entre le palais et l’Élysée. Depuis, il n’a jamais prononcé publiquement le nom de l’ancien président…

« Enfant de la République », comme il se définit lui-même, produit de l’école laïque et égalitaire, l’enfant de Trappes, la commune où il est né, en Île-de-France, Jamel Debbouze peut glisser dans la djellaba du parfait « sujet » de Sa Majesté dès qu’il foule le sol marocain : une servilité qui trouble
parfois même ceux qui l’apprécient. Dès qu’il accède au palais, le « bouffon du roi » se prosterne avant même de toucher « M6 », auquel il fait le «baisemain recto-verso ». « Il ne se contente pas d’embrasser la main du roi recto-verso, il fait la même chose aux princes et aux princesses et même aux cousins lointains du roi, sous l’œil intrigué de tout le monde, raconte un diplomate. À le voir on se demande si cet homme n’a pas passé toute sa vie dans une aile du palais—. »

Lorsqu’il défend le roi, « qu’aucun chef d’État français » n’égale, dit-il, l’admiration frôle le… comique. Dans un entretien au magazine marocain TelQuel, Jamel évoque « l’engouement de Sa Majesté à vouloir aider la jeunesse et la culture dans son ensemble […] Ce n’est pas simplement le dire, c’est connaître [le sujet]. Il m’a filé des références musicales […] J’ai rencontré plein de chefs d’État français qui n’en avaient rien à foutre de la culture ! ». Dans son élan, Jamel n’hésite pas à jouer sur la corde sensible en recourant au fameux parallèle entre le roi du Maroc et ses voisins… algérien et tunisien : « Je sais ce que c’est qu’un haut responsable qui a envie que ça bouge. La preuve, c’est que ça bouge derrière ! Si on en est là aujourd’hui […] c’est que culturellement il se passe quelque chose de fort ici, qui ne se passe pas en Algérie et qui ne se passe pas en Tunisie. »

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