Algérie – Halte à l’amalgame !

Par Mohamed Habili

Au jour d’aujourd’hui, on entend souvent citer dans les médias l’Algérie aux côtés de l’Irak et du Liban, auxquels il arrive mais plus rarement qu’an ajoute le Soudan, censé pourtant avoir quant à lui déjà accompli sa « révolution », comme autant d’exemples concomitants de pays arabes soulevés par une sorte de nouveau printemps.

Tous ceux qui font cette identification ne semblent pas être animés des mêmes intentions. Il en est qui ont l’air de croire vraiment que ces trois ou quatre situations sont équivalentes quant à l’essentiel, autant dire des copies les unes des autres, à quelques nuances nationales près.

D’autres en revanche font carrément dans l’agit-prop, mus à l’évidence par le souci d’ajouter de l’huile sur le feu qu’ils croient en train de prendre ou avoir déjà pris chez nous. N’oublions pas que pendant longtemps les médias français décrivaient l’Algérie comme étant un pays au bord de l’explosion, fidèlement repris en cela par des journaux algériens, et cela bien avant le début des manifestations hebdomadaires actuelles.

Ces médias, constants dans leur hostilité à notre égard, se sont fait une spécialité de ce grossier amalgame, eux qui en principe sont les mieux placés pour voir ce qui sépare le cas algérien des deux autres, d’autant que les différences sont frappantes.

Au Liban et en Irak, les mouvements de protestation en cours ont éclaté sur des revendications purement sociales mais dans un contexte d’appauvrissement généralisé, auquel n’ont échappé que les couches supérieures de la société. Une mesure de trop au Liban, la taxe sur WhatsApp, a fait descendre les gens dans la rue, qu’ils n’ont plus quittée depuis, sinon la nuit pour aller se reposer.

Auparavant, au Soudan, c’est le triplement du prix du pain qui avait déclenché la protestation, qui bien souvent avait pris des allures insurrectionnelles. Tout comme par moments au Liban aujourd’hui, mais plus souvent en Irak où les affrontements ont été plus violents qu’ailleurs, comme en témoigne le grand nombre des victimes dans les rangs des manifestants, mais aussi du côté des forces de l’ordre.

Maintenant, il est bien vrai que ces mouvements une fois lancés n’ont guère tardé à se politiser, et à exiger le départ du système politique dans son ensemble. S’il en est ainsi, c’est d’abord et avant tout parce que la dégradation des conditions de vie des populations dans ces deux pays est telle qu’il n’est pas possible d’y remédier en quoi que ce soit juste par l’annulation des mesures de trop, ou un simple changement de gouvernement.

En Algérie, par contre, toutes les causes du mouvement sont politiques. Les manifestants ne sont pas descendus dans la rue parce qu’ils n’en pouvaient plus de leurs conditions de vie, comme en Irak, au Liban, et au Soudan.

La crise couvait depuis plusieurs mois, on peut dire depuis le début de la maladie d’Abdelaziz Bouteflika. Ici, s’il y a eu une dégradation à l’origine de la protestation, c’est celle de la santé du président. En aucune manière celle du niveau de vie, ou même celle des libertés.

Au moment où commence le mouvement, le 22 février, le calme régnait dans le pays à tous les niveaux, même si le mécontentement pour des motifs politiques était répandu dans la société. Plus de huit mois plus tard, nulle demande sociale n’a encore été scandée dans la rue. C’est précisément cela la particularité du cas algérien. Elle est si marquée qu’elle empêche toute identification avec ce qui se passe pour l’heure tant en Irak qu’en Liban, et avec ce qui s’était produit au Soudan.

En effet, si le mouvement ne véhicule aucune demande sociale, cela est dû au fait que le pacte social n’a pas été rompu en Algérie. Autrement dit, les Algériens n’ont pas été paupérisés. Ce qui pour autant ne veut pas dire qu’ils sont entièrement contents de leur sort au point de vue matériel. Ni qu’ils n’auraient aucune revendication à faire à cet égard plus tard. Mais ce fait explique en grande partie la nature du mouvement, et d’abord son pacifisme. Du moins jusque-là, parce qu’il n’est pas encore dit que ce caractère va se maintenir jusqu’au bout, et en premier lieu jusqu’au 12 décembre.

Le Jour d’Algérie, 5 nov 2019

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