Maroc : Sacha et le Pacha

Qui est le sénateur Éric Doligé ? Qu’est-ce qui l’a poussé à insister de toutes ses forces, en utilisant son carnet d’adresses et ses contacts dans les sphères du Parlement, du gouvernement et au sein de l’Élysée pour empêcher le président de décorer M. Hammouchi ?

Éric Doligé est le sénateur LR (Les Républicains) du Loiret depuis octobre 2001. Comme beaucoup d’hommes politiques de la droite gaullienne.

Il était considéré comme un « ami du royaume ». Lorsque son fils Sacha et son associé Pascal Gaillères ont décidé en 2006 de s’installer au Maroc et d’y monter un projet de maison d’hôte à Taroudant, près d’Agadir, le sénateur les a vivement encouragés.

« Tout s’est passé comme nous l’avions souhaité. Le chiffre d’affaires était en progression et nous comptions, fin 2009, près de 80 salariés », confie Sacha Doligé -. Mais à partir de décembre 2009, les ennuis commencent pour les deux associés lorsque le pacha- — de Taroudant leur demande de construire un ranch pour son fils. Coût du projet, 70.000 euros. Une avance de 35.000 euros est versée par le fonctionnaire marocain. Mais à la fin des travaux, il refuse de s’acquitter de l’autre moitié et va jusqu’à exiger des travaux supplémentaires de 130.000 euros « en précisant qu’il ne paierait pas et qu’en cas de désaccord il fermerait l’entreprise et nous expulserait du Maroc en slip », affirme Sacha Doligé.

Sur un autre terrain qu’ils ont déjà acheté, les deux entrepreneurs attendent l’autorisation pour commencer les travaux de construction d’un important projet immobilier. Mais quelques jours après leur altercation avec le Pacha, Sacha et Pascal sont informés par la mairie que leur terrain n’est pas constructible. Le lien est vite fait. Dans la foulée, ils reçoivent une convocation du tribunal d’Agadir qui les condamnera, en avril 2013, à deux mois et demi de prison ferme. Leurs passeports sont confisqués et, du jour au lendemain, les 80 ouvriers se retrouvent au chômage technique.

Les deux associés s’orientent alors vers le consulat de France à Agadir. Sacha écrit un premier courrier à la consule générale, Véronique-Marie Juricic, en poste à Agadir depuis 2010. Sans réponse. Il écrit un second courrier, puis d’autres suivront, en vain. Selon l’avocat des deux
ressortissants français, la consule leur a « non seulement refusé de l’aide, en ne donnant pas suite à leurs nombreuses demandes de rendez-vous, mais elle a volontairement fermé les yeux devant l’injustice dont ils étaient victimes ».

Sacha Doligé est persuadé que Mme Juricic protège le pacha de Taroudant dont elle est très proche, selon lui. Dans la plainte qu’il a déposée en France en janvier 2014, il dit posséder un enregistrement datant de 2012, dans lequel la responsable des services sociaux de l’ambassade affirme que si « Mme Juricic a agi comme cela, c’est parce qu’elle entretient une relation charnelle avec une autorité marocaine locale qui n’est autre que le meilleur ami du pacha ».

Informé, le père de Sacha prend contact avec l’ambassadeur de France au Maroc, à l’époque Charles Fries, et son adjoint Ludovic Pouille. Il leur fait écouter l’enregistrement et demande une enquête. Le 7 août 2012, Pascal Bastide, le commissaire de police de l’ambassade, rencontre Sacha Doligé, qui lui fait écouter à son tour l’enregistrement. La responsable des services sociaux est également auditionnée. Le 29 août 2012, une rencontre a eu lieu entre Sacha Doligé, le gouverneur— 1 de Taroudant et M. Bastide. « Lors de cet entretien, le gouverneur a reconnu qu’il y a eu confusion de terrain et qu’en réalité, notre terrain a toujours été constructible ; que notre autorisation a été anormalement bloquée durant dix-huit mois à la mairie et qu’il y aura une enquête. Il nous a même présenté des excuses. »

Un rapport sur cette affaire a été rédigé par M. Bastide et un magistrat de l’ambassade, Jean-Michel Bourles, et présenté au directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur marocain, en présence de Ludovic Pouille. Selon Sacha et Éric Doligé, le rapport reconnaît explicitement que « le terrain a toujours été constructible et que le pacha doit bien les sommes réclamées par moi-même, et qu’une enquête approfondie était en cours à son égard ».

Mais « nous n’avons jamais pu obtenir copie de ce compte-rendu prouvant notre innocence, bien que nous l’ayons réclamé par courrier le 22 novembre 2012, courrier resté sans réponse », regrette Sacha Doligé.

Les deux associés décident alors de poursuivre le ministère français des Affaires étrangères devant le tribunal administratif. Objectif, le pousser à leur transmettre les comptes-rendus de l’enquête, susceptibles, selon eux, de les innocenter et d’ouvrir la voie à une indemnisation.

La décision du tribunal administratif tombe le 29 janvier 2015 : la demande de Sacha Doligé et son associé est rejetée. Mais les arguments avancés par la justice administrative française renseignent sur la nature des relations entre les diplomates français et les autorités locales marocaines : « Il résulte de l’examen des deux comptes-rendus qu’ils comportent des passages qui, relatifs à la gestion des opérations immobilières conduites par des ressortissants français, par les autorités marocaines, ne peuvent être communiqués dès lors que leur divulgation serait de nature à porter atteinte aux relations entre les autorités publiques françaises et les autorités marocaines ; qu’en outre, ces passages sont indivisibles de l’ensemble des comptes-rendus ; qu’ainsi, une occultation de ces documents serait de nature à les dénaturer et à priver leur communication de tout intérêt. »

L’affaire est aujourd’hui entre les mains de la justice ordinaire mais les associés semblent déterminés. « J’ai vu tout le monde, presque tous les membres du gouvernement Hollande, conclut le sénateur. Certains me disent “on va voir”, d’autres, plus francs, répondent tout simplement qu’ils “ne veulent pas avoir de problèmes avec le palais”. La seule fois où on a répondu positivement à ma demande, c’est lorsque M. Hollande a décidé de ne pas décorer M. Hammouchi… »

Source : La République de Sa Majesté, Omar Brouksy

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