Tunisie : Non-dit sur un désastre à relativiser

Après les élections : Non-dit sur un désastre à relativiser

Si les élections de cette terrible fin d’année 2019 ont été un désastre, ce n’est pas tant par leurs résultats, somme toute attendus, que par le désintérêt populaire dont elles ont fait l’objet. Et si, pour les résultats, désastre il y a, l’impression en est même à relativiser, étant déjà variable selon les intérêts des uns et des autres. De plus, il ne le serait que pour les risques qu’il emporterait pour la stabilité du pays, la réussite de sa transition démocratique.

Au vrai, la victoire du parti Ennahdha n’est ni totale ni de celles qui laissent prédire l’avenir noir qu’annoncent ses ennemis, qui serait aggravé par l’entrée au parlement de hérauts intégristes avérés. Car, on ne le sait que trop, c’est au bord du gouffre que le salut vient, s’imposant en unique alternative; l’histoire montre bien que les extrémistes se convertissent alors au réalisme d’une modération impérative en politique pour durer. Paradoxalement donc, si les droits et libertés semblent aujourd’hui plus que jamais menacés, ce ne serait qu’en apparence, hypothétiquement même, la nouvelle composition de l’Assemblée des Représentants du Peuple devant plutôt encourager la mue démocratique du parti vainqueur qu’il ne cesse de prétendre vouloir réaliser.

Relativiser le désastre :

Ce serait une erreur de croire que si la majorité du peuple se désintéresse des élections, c’est qu’elle ne souhaite pas ou plus la démocratie; elle en aurait plutôt une faim vorace. Toutefois, elle a la lucidité de refuser le jeu vicieux qu’on lui propose, celui où l’acte électoral vient occulter la vraie démocratie qui ne se réduit pas au vote, étant manifestée d’abord par des lois justes et des libertés avérées. Or, le pays est encore gouverné par la législation de la dictature, pourtant abolie par la constitution, et ses juges appliquent une législation illégale. Comment, dans ces conditions, parler d’État de droit, de démocratie et d’élections transparentes ? Comment intéresser les gens quotidiennement brimés par des lois scélérates à des élections dont la tenue impérative a été dictée par les intérêts partisans dans un tel cadre d’illégalité, aggravé par l’absence de Cour constitutionnelle ? Son érection était même plus urgente et impérative que l’organisation des élections, la date limite constitutionnelle de la tenue de ces dernières ne pouvant occulter en aucun cas celle de la mise en place de la Cour, encore plus impérative.

Quand on se permet de violer de la sorte une constitution qu’on se dit devoir respecter, on ne fait que susciter de la part des électeurs une attitude similaire : ne pas respecter la règle du jeu démocratique quant à sa formalité électorale. Ainsi, outre le nombre d’inscrits, demeuré bas notamment chez les jeunes, il y a eu ce taux d’abstention allant crescendo. Et on ne parle pas ou peu des vraies causes d’une telle désaffection. L’une d’elle s’est manifestée dans le rejet des votants des politiciens tenant à ces élections afin de perpétuer, à défaut d’un système, une hégémonie contestée sinon refusée par les plus larges pans de la société. Ce qui a permis à certains de profiter de la situation pour limiter la casse, notamment le parti le plus organisé, Ennahdha, le mieux conseillé en techniques politiciennes.

Si le parti islamiste a réussi son ambition de rester le maître du jeu dans le pays, il est loin d’avoir toute latitude pour agir; ce que d’aucuns, parmi les stratèges occidentaux surveillant de près la transition démocratique tunisienne, auraient estimé un passage obligé pour amener ledit parti à poursuivre sa mue. Je le notais d’ailleurs dans une chronique à la veille des élections : « De la part de M. Ghannouchi, c’était une façon d’administrer la preuve de sa bonne volonté de réformer son parti, en faire la démocratie islamique rêvée, un slogan resté creux au vu des réalisations. Toutefois, comme la réforme législative semble désormais impérative, imposée par la nécessaire mise en vigueur de la constitution, il en contrôlera ainsi le cours tout en s’en attribuant éventuellement les retombées. Pour peu que son groupe parlementaire soit assez bien pourvu, comme il le fut lors de la dernière élection législative, perdue certes, mais de peu devant un parti qui s’est vite morcelé en courants ennemis. Ce qui semble devoir être le cas, cette fois-ci aussi. » (cf. Élections en Tunisie ou jeux de cirque politiques sur Contrepoints en date du 9 septembre 2019).

Lire la suite sur Réalités magazine n° 1764 du 18 au 24 octobre 2019

Source : Farhat Othman, 19 oct 2019

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