Al-Maghrib (Maroc), ce royaume de «l’inquiétante étrangeté»

Karim R’Bati

Dans le vocable arabe «المغرب» (Al-Maghrib) qui désigne tout à la fois l’Occident musulman, le pays du soleil couchant et le nom d’un pays, le Maroc, il existe un autre sens proche de «الغرابه» (Al-gharâba), c’est-à-dire ce qui est «غريب» (gharîb), ou étrange. Or le vocable «gharîb» en arabe a un double sens, en particulier quand il sert à qualifier une personne, «شخص غريب», signifiant, selon les contextes, une personne étrange ou étrangère. Mais lorsque le vocable «gharîb» renvoie à une chose inanimée, à une idée abstraite ou à une pratique, «شيء غريب», il signifie une chose non seulement étrange, mais aussi venue d’ailleurs.

On ne le dit pas assez, le Maroc est un étrange pays. Les Marocains n’ont-ils pas l’habitude, devant l’arbitraire et l’injustice ou devant certaines situations absurdes, irrationnelles ou kafkaïennes, de rappeler ce vieil adage : «Ne sois pas si étonné d’être au pays de l’étonnement» (In Kunta fi’l Maghrib falâ tastaghrib) ; c’est même le pays de l’étonnement par excellence, dans le pire sens du terme, comme dans le meilleur : un pays-carrefour, entre Orient et Occident, l’Afrique et l’Europe, l’antiquité et les temps modernes, les ténèbres et la lumière, le rationnel et l’irrationnel, le bien et le mal, la beauté et la laideur, l’enfer et le paradis, etc.

Cette situation singulière aura marqué l’histoire et l’identité des Marocains jusqu’à aujourd’hui. Résultat, beaucoup de choses nous viennent d’ailleurs y compris la population qui, dans sa grande diversité, est le fruit de plusieurs vagues d’immigrations et de brassages ethniques. Peut-être est-ce une lapalissade que d’affirmer qu’au Maroc, presque tout vient d’ailleurs. Mais on le voit chaque jour, au quotidien, dans la musique, dans l’architecture, dans la cuisine, dans les dialectes, dans les clivages régionaux, mais aussi dans la culture, les us et coutumes, jusqu’au rituel de la royauté.

Si, à titre d’exemple, le parasol et le cheval comme attributs de royauté flirtent avec l’imagerie picturale française, rapport récemment mis en évidence dans un article remarquable de l’écrivain-journaliste Ali Amar, paru dans le site Slate (voir lien en annexe), la pompe et l’apparat, le rituel dégradant de la prosternation et le décorum palatial sont des coutumes bien étrangères à l’esprit libre et rebelle de la majorité berbère et, plus généralement, à tous les Marocains, pour qui de tels pratiques humiliantes constituent une atteinte à leur dignité humaine. Et pour cause, ces rituels, cette pompe et ce décorum ne sont ni d’origine arabe, ni d’origine berbère ; ils nous viennent de trop loin : probablement des fastes ottomans, eux-mêmes calqués sur ceux Byzance et de la Perse sassanide.

En tous les cas, ces scories des temps anciens relèvent du champ sémantique d’«Al-gharâba» (الغرابه) et n’ont rien à voir ni avec la modestie légendaire des premiers califes de l’Islam, ni avec les préceptes de cette religion et, encore moins, avec le modèle suprême des Musulmans sunnites : le Prophète Muhammad. En effet, sa Sîra (récits biographiques fondés sur les témoignages de ses proches) évoque un homme juste, pieux, humble, accessible et respectueux de la vie et de la dignité humaine de ses Sujets. Bref, un chef spirituel et temporel, dont les qualités n’avaient rien de commun avec ceux de ses contemporains d’empéreurs de Byzance et de Perse.

Source : Le blog citoyen, 8 Août 2012

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