Le Maroc paie cash le soutien immoral de la France

Nicolas Sarkozy: vu de France, vu du Maroc

Karim R’bati

Source : Le blog citoyen, 29 Sept 2011

Le 8 septembre 2011, lors d’un déplacement dans le Doubs (France) pour les besoins de l’inauguration de la ligne à grande vitesse Rhin- Rhône, le président français Nicholas Sarkozy confia à la cohorte de journalistes qui l’accompagnait qu’il allait se rendre au Royaume (enchanté) du Maroc:
« Je serai, leur disait-il, à la fin du mois au Maroc avec sa majesté le roi Mohammed VI pour poser la première pierre du TGV Rabat-Casablanca-Tanger que nous allons réaliser ».

C’est chose faite, Sarkozy est arrivé à Tanger, ce jeudi 29 septembre 2011, pour lancer les travaux du future TGV marocain. Pour nombre d’observateurs des faits et gestes du futur ex-président français, un tel déplacement est tombé à point nommé, juste au lendemain d’une terrible bérézina de la droite aux dernières élections sénatoriales. Vu de France et tel que les prochains JT ne manqueront pas de rapporter l’événement, ce qui en sera retenu c’est certainement l’image du premier VRP des entreprises françaises à l’étranger. Surtout en ces temps de crise sans fin, de chômage inquiétant, de déficits publics abyssaux et de baisse vertigineuse dans les sondages. Aussi l’image médiatique d’un président qui œuvre pour les intérêts des Français et, en particulier, pour la sauvegarde des emplois en France, n’est-elle pas sans bénéfices pour le candidat Sarkozy en précampagne présidentielle.

Or vu du Maroc, en quoi le plan média de Nicolas Sarkozy nous concerne-t-il ? En quoi ses gesticulations sont utiles aux intérêts du peuple marocain? Il faut dire que les Marocains sont surtout surpris qu’un chef d’état étranger puisse effectuer, en l’espace de quelques années, deux déplacements officiels, chez eux, pour le même objet. On se souvient que le même Sarkozy fit un déplacement très remarqué à Marrakech en 2007 pour co-présider avec le roi Mohammed VI la signature des premiers accords entre l’ONCF, la SNCG et Alstom en vue de démarrer les études pour la réalisation de la ligne à grande vitesse (LGV) marocaine devant relier Tanger à Casablanca.

Quatre ans plus tard, le revoilà qui revient comme si les accords signés n’étaient pas tout à fait acquis ou comme si les déclarations officielles des plus hautes autorités de l’état marocain n’étaient pas suffisantes.

En cela, le président français nous donne le sentiment d’être trop pressé, mais surtout déterminé à prendre aux mots ses interlocuteurs marocains. Et pour cause, l’état français et le Makhzen marocain ne partagent décidément pas les mêmes valeurs et ne vivent pas non plus dans la même dimension temporelle. Alors, forcément, celle d’un président «démocratiquement élu» lui impose une exigence de bilan au bout d’un mandat présidentiel qui s’achève, en vue de sa réelection ou non en fonction d’un tel bilan, alors que celle d’une monarchie de droit divin est tout autre, elle est même pour ainsi dire d’un autre temps. Mais au risque de bousculer la nonchalance orientale des officiels marocains, il va falloir passer aux actes. C’est, semble-t-il, le message quelque peu brutal que Sarkozy donnerait à entendre, par son activisme, à ses homologues marocains. Ce qui est, en soi, tout à la fois choquant et humiliant pour les citoyens marocains – qui assistent impuissants au dévoiement des ressources limitées de leur pays au profit des intérêts économiques de la France, comme si le Maroc avait vocation à apporter sa petite contribution au maintien du niveau de vie des Français.

Passé le temps de la diplomatie du couscous et des Tagines, il était donc temps d’aller de l’avant dans le respect des engagements convenus, il ‘y a quatre ans déjà, entre le royaume chérifien et l’état français. Il était temps de joindre les gestes aux paroles. Seulement voilà, dans l’intervalle, le printemps arabe est passé par là et la France, on s’en souvient, a ratée une belle occasion de joindre les gestes aux paroles, son discours droit- de- l’hommiste à sa doctrine en politique étrangère. Bien qu’émergea sur la scène internationale une nouvelle donne géopolitique, incarnée par les aspirations démocratiques des peuples arabes, rien ne semble indiquer un changement majeur dans le type de relations diplomatiques qu’entretient la France avec le monde arabe en général et le Maroc en particulier.

Et c’est dans la lignée d’une déclaration malheureuse de l’ancienne ministre française des AE, Mme Alliot-Marie – qui faut-il le rappeler avait proposé un certain savoir-faire français au dictateur tunisien Ben-Ali -, c’est dans cette même lignée que les démocrates marocains ont été abasourdis par les propos élogieux du président français sur la nouvelle constitution, qui vient d’être imposée au peuple marocain au terme d’un processus référendaire tout sauf respectueux des droits de l’Homme, tout sauf démocratique. Il l’a fait, on s’en souviendra, au mépris d’une certaine idée de la France et sans craindre de nous infliger le même cynisme auquel a eu droit le peuple tunisien qui luttait pour sa liberté.

Ce qui est évident, en tout cas, c’est que le soutien aussi immoral qu’incohérent de la France à l’autocratie alaouite est loin d’être désintéressé. Il se paie, à chaque fois cash, toujours au mépris de la volonté souveraine du peuple marocain et aux dépends de ses intérêts. En l’occurrence, dans le cas du projet du futur TGV marocain, le retour sur investissement s’imposait, c’est chose faite avec la visite du président français à Tanger.

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