Algérie-Vénezuela, révolutions en résistance

Alger-Caracas, révolutions en résistance

Par Samia Zennadi

La veille de mon départ pour Caracas, le Venezuela était plongé dans le noir. Ce n’était pas la première fois que 30 millions de Vénézuéliens étaient victimes d’une panne de courant géante. La plus « spectaculaire » avait eu lieu en mars dernier et avait paralysé le pays pendant plusieurs jours. Les déclarations officielles du Venezuela, confirmées par une enquête, l’avaient attribuée à une attaque électromagnétique contre le système de production et de distribution de la centrale hydroélectrique El Guri. La colonne vertébrale de l’électricité, qui fournit 80% de l’énergie électrique du Venezuela, était victime d’un sabotage.

De mon Alger éclairée par la libération d’un autre type de longue panne, inquiète de voir mon voyage compromis, je cherchais des informations fiables.

Je savais que je ne pouvais pas compter sur les Médias Mainstream revanchards. Leurs rédacteurs omettent de rappeler, quand ils mettent des guillemets à « attaque électromagnétique », que les accusations de Téhéran contre les Etats-Unis et Israël pour le sabotage de son programme nucléaire en 2010 se sont finalement avérées vraies. Même le «New York Times» a fini par consacrer en 2012 un reportage au puissant virus informatique Stuxnet responsable de la paralysie de la centrale nucléaire iranienne de Natanz.

Baptisée «Jeux olympiques», relevez le cynisme, cette attaque cybernétique a ouvert les champs des possibles aux guerres invisibles. Elles font rage depuis quelques années et les espaces réels et virtuels de la Syrie, livrée dans la foulée des « printemps arabe » aux procédures du « Regime Change », ne sont pas les seuls champs de batailles.

Le clergé médiatique et ses amplificateurs, qui sèment le doute sur les déclarations officielles du Venezuela attribuant cette panne à une attaque savamment orchestrée par les Etats-Unis et ses tentacules, se gardent de dire que la « révolution bolivarienne » impulsée par Hugo Chavez et conduite aujourd’hui par son successeur Nicolas Maduro n’est pas du goût de l’Empire qui travaille assidûment pour l’anéantir.

En mars 2002, alors qu’Hugo Chavez n’était aux commandes de l’Etat Vénézuélien que depuis trois ans, Charles Shapiro est nommé nouvel ambassadeur US à Caracas. Sur son tableau de chasse, entre autres prouesses, le coup d’Etat fasciste contre Allende.

Ce sinistre personnage, qui était au poste de conseiller militaire à l’ambassade US au Chili en 1973, arrive au Venezuela à un moment où ce pays était en proie à une grande agitation politico-médiatique contestataire. Et pour cause ! Le vote en novembre 2001 d’une série de lois, dont une sur la réforme agraire et une autre sur le contrôle du gouvernement sur la compagnie pétrolière appartenant à l’État vénézuélien, notre SONATRACH à nous, la PDVSA.

Chavez, élu avec une large majorité sur la base d’un programme révolutionnaire anti-corruption qui aspire à combattre la pauvreté, était entrain de l’exécuter. La mise sous tutelle du peuple par des siècles d’idéologie élitiste vole en éclat et l’opposition est dans tous ses états. Elle va même intenter une action en justice auprès de la Cour suprême pour se prononcer sur l’éventuelle incapacité mentale du Président ! La démocratie au service de la souveraineté populaire ! Pour la pseudo-opposition garante des intérêts de ses maitres d’aujourd’hui et d’hier, c’est une pure chimère.

Le coup d’Etat du 11 avril 2002 devait être le coup de grâce.

Mais l’appui du gouvernement américain aux contre-révolutionnaires d’extrême droite n’a pas réussi à faire de l’éviction de Chavez une simple formalité. Les putschistes s’étaient heurtés à la mobilisation massive du peuple et d’une partie de l’armée, une première dans l’histoire moderne de l’humanité.

« L’élite révèle sa vraie nature : un gang. Nos chères valeurs perdent leurs ailes ; à les regarder de près, on n’en trouvera pas une qui ne soit tachée de sang. » Frantz Fanon.

Ce que l’oligarchie et la CIA n’avaient pas su évaluer quand ils préparaient leur putsch, c’est bien l’impact d’El Caracazo sur la conscience historique collective des Vénézuéliens. Et pour le comprendre, il faut revenir au 27 février 1989 quand de grandes émeutes spontanées avaient secoué Guarena et s’étaient étendues à Caracas avant d’atteindre d’autres villes.

L’armée vénézuélienne devait rétablir l’ordre et pour la première fois de son histoire, elle s’est vue obliger de tirer sur son peuple. Février 89 est en quelque sorte notre 5 octobre 88 à nous.

Le bilan de la répression de la révolte des laissés pour compte contre l’application des mesures du FMI est très lourd. Pendant quatre jours, agissant en toute impunité et tirant sur tout ce qui bouge, l’institution militaire s’est rendue coupable de l’assassinat de 3.000 Vénézuéliens.

Un massacre dont l’onde de choc va non seulement toucher un secteur important de l’armée qui prendra conscience de sa position de complice d’un régime criminel contesté, mais elle mettra aussi à nu les failles de la démocratie bourgeoise, celles des partis clientélistes et de leur corruption durable.

La naissance d’un noyau de la société civile, qui réclame des réformes et exige une plus grande participation du peuple dans la prise de décision, indique que les jours de la supercherie politico-médiatique soumise aux directives des banques et des institutions financières internationales sont comptés.

El Caracazo marque le début du processus révolutionnaire bolivarien. Il aura un visage et une voix, ceux d’Hugo Chavez, un certain 4 février 1992. Un commandant de 38 ans assumait publiquement être le premier responsable du putsch manqué et qu’il renonçait por ahora (pour le moment) à poursuivre son action.

Il devient le symbole de l’« alliance civile-militaire » et de ses 10 secondes devant les caméras, un lien est né entre lui et des millions de Vénézuéliens fatigués de la corruption, de l’impunité, de l’hypocrisie des politiciens, des discriminations sociales énormes et des processus dégénératifs des institutions.

Ceux-là même et d’autres millions de pauvres des cerros, les collines qui entourent Caracas, au lendemain du coup d’Etat du 11 avril 2002, s’amassent devant le Palais présidentiel Miraflores et devant la base militaire Fuerta Tinua incitant les militaires loyaux à passer à l’action.

« Politiser c’est ouvrir l’esprit, c’est éveiller l’esprit, mettre au monde l’esprit. C’est, comme le disait Césaire, «inventer des âmes» ». Frantz Fanon

Ce que l’oligarchie et la CIA ont pu évaluer avec désarroi à cet instant, c’est bien l’intensité de la rébellion populaire et son attachement au processus révolutionnaire bolivarien.

Malgré la répression policière, le black-out médiatique total, la fermeture de la chaîne publique et la désinformation des médias locaux et internationaux imputant la responsabilité des tirs meurtriers contre le cortège de manifestants à Chavez, les vénézuéliens avaient compris que c’était le Maidan avant l’Ukraine. Hélas ! Pour l’opposition qui veille aux intérêts des forces étrangères, le coup d’État planifié depuis des mois fut de courte durée.

Chavez est rendu à son peuple et pour commémorer les actes héroïques de cette alliance civile-militaire, il proclame le 13 avril le « Jour de la milice nationale bolivarienne ».

¡Todo 11 tiene su 13! (tout 11 a son 13). Jubilation nationale!

Alger-Caracas, révolutions en résistance Par Samia Zennadi
« On nous a dominés plus par la tromperie que par la force, et l’on nous a dégradés par le vice plus encore que par la superstition. L’esclavage est l’enfant des ténèbres. Un peuple ignorant est l’instrument aveugle de sa propre ruine. L’ambition, l’intrigue abusent de la crédulité et de l’inexpérience d’hommes dépourvus de toutes connaissances politiques, économiques ou civiles, et qui tiennent pour des réalités de pures illusions, qui prennent la licence pour la liberté, la trahison pour le patriotisme, la vengeance pour la justice ; car ils ressemblent à ce robuste aveugle qui, poussé par le sentiment de sa force, marche avec l’assurance de l’homme le plus clairvoyant, et, se heurtant à tous les écueils, ne peut apprendre à diriger ses pas. ». Simon Bolivar.

Coup d’Etat avorté, nouvelles procédures de déstabilisation inventées ! Ce qui n’a pas pu être accompli par Bush Junior va être poursuivi par Obama.

Les services secrets de l’Empire n’oublient pas que tous leurs analystes des années 90 affirmaient que Cuba, sous blocus économique des États-Unis, n’allait pas survivre à l’échec du socialisme européen surtout après la grande émotion qui a accompagné la chute du mur de Berlin.

Non seulement Cuba n’a pas implosé, Fidel Castro n’est pas tombé, mais voilà qu’un autre foyer révolutionnaire, qui échappe à leur contrôle, est à leur porte.

Le processus d’extinction qu’espérait l’oligarchie ne s’est pas produit, bien au contraire. Avec le retour de gouvernements de gauche en Amérique du Sud, rien ne semble pouvoir arrêter cet « ouragan révolutionnaire » et ça, il n’était pas question de laisser faire.

En prélude à l’élection présidentielle vénézuélienne de 2012, Barack Obama va doter le Foreign Operation Budget de 5 millions de dollars pour soutenir les organisations anti-chavistes. Le « décret Obama » du 08 mars 2015, identifiant clairement le Venezuela comme « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des Etats-Unis », autorise l’élaboration légale et minutieuse de l’asphyxie de l’économie du Venezuela. Il permit également au Général John Kelly, le chef de la très puissante US Southern Command, dés le 28 octobre 2015, de se projeter dans une future intervention militaire, si le Venezuela subissait une crise humanitaire !

Auréolé du prix Nobel de la paix de 2009, neuf mois à peine après son élection, Obama pouvait affirmer sans ambages : « Nous avons l’armée la plus puissante au monde. Parfois, nous devons tordre le bras des pays qui ne veulent pas faire ce que nous voulons qu’ils fassent » !

Thanks to Obama, les choses sont plus claires. Les 350 sanctions économiques, adoptées contre le Venezuela de 2015 à nos jours et qui coûtent 130 milliards de dollars à l’économie vénézuélienne entrainant une chute de 9 fois des revenus du pays, ne sont qu’une torsion du bras de Venezuela ! La mascarade du 23 janvier 2019, celle d’un président autoproclamé, inconnu mais semble-t-il reconnu dans la foulée par une cinquantaine de pays, n’est qu’une distorsion du bras du Venezuela !

« Le capitalisme et l’impérialisme font de l’anticolonialisme, comme les colonels français en Algérie faisaient de la guerre subversive avec les SAS ou les services psychologiques. Ils « utilisaient le peuple contre le peuple ». On sait ce que cela donne. » Frantz Fanon.

Aujourd’hui, le processus contre-révolutionnaire auquel fait face ce pays, qui refuse d’être le 68ème gouvernement renversé par les Etats-Unis, semble être une Trump affaire et celle d’un cercle de suiveurs. Leurs appels belliqueux n’ont pas entrainé l’armée vénézuélienne à rompre son serment de respect de la Constitution. Ce qui s’est passé le 23 février dernier sur la frontière du Venezuela avec la Colombie prouve encore une fois que l’institution militaire du Venezuela n’est pas un ramassis de mercenaires.

De mon Alger éclairée par la libération d’un autre type de longue panne, encerclée par les médias atlantistes, je mesurais la force de leurs frappes. Le cas du Venezuela, comme celui de la Palestine, montre que le droit international est à terre, foulé par la « communauté internationale » autoproclamée.

Des relais émetteurs de fausses réalités, primés pour services rendus, expliquent dans des chroniques réservés aux abonnés pourquoi ils ne rêvent pas d’être vénézuéliens. Dans des mises au point déguisées en prise de position « humaniste », une élite fausse et sceptique alignée sur les rangs des va-t-en-guerre se lamente sur le sort du peuple vénézuélien.

Nouvellement admise dans le vieux cercle vicieux et fermé, celui des « libres penseurs » grâce à sa capacité à produire à la commande de longues litanies et à exprimer une profonde haine, et en premier lieu, à l’égard de son peuple et de son histoire, elle ne daigne même pas relever que des millions de gens, qui ne savaient ni lire ni écrire, sont aujourd’hui libérés de la grande nuit dans laquelle les avaient plongés les privilégiés, ceux qui ont bâti leur fortune sur un océan de misère, de sang et d’ignorance.

Pourtant, dés 2003, Hugo Chavez donne le coup d’envoi de la campagne d’alphabétisation la plus ambitieuse d’Amérique du Sud. Avec le soutien de Cuba et sa méthode « Yo, sí puedo », (Moi, je peux), plus d’un million cinq cents mille personnes ont appris à lire et à écrire grâce au programme social « Mission Robinson ». Une nouvelle méthode pédagogique de 64 leçons inclut la livraison d’un million de bibliothèques familiales composées de 20 titres de littérature universelle et latino-américaine, soit 20 millions de livres ont été offerts par le gouvernement cubain au peuple vénézuélien.

Deux ans plus tard, l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) déclare le Venezuela un territoire libre d’analphabétisme.

En dépit des difficultés politiques, sociales et économiques le Président Nicolas Maduro a élargi les plans de ce programme éducatif à l’apprentissage des métiers de production. Il a également créé la « Mission Robinson Digitale » pour l’alphabétisation technologique des masses.

Il va sans dire que dés l’année 99, l’éducation et la culture ont pris un tournant décisif lorsque le peuple vénézuélien a approuvé une Constitution qui, dans son préambule, accorde à la culture un poids important dans la vie publique et la considère comme un bien commun à tous les vénézuéliens. Le livre n’est plus un outil de ségrégation et 2003 sera l’année de la création du Ministère du Pouvoir Populaire pour la Culture. Pour nous, rappelez-vous, c’était « l’Année de l’Algérie en France », décidé en haut lieu.

Avec une politique forte et axée sur le livre et la lecture, son premier pari réussi est d’avoir arraché à la privatisation les deux éditeurs les plus emblématiques du pays, Monte Ávila et Biblioteca Ayacucho, qui ne publiaient à la fin des années 90 qu’un titre par an. Le processus classique d’abandon des politiques publiques devait conduire à leur privatisation ou à leur disparition comme ce fut le cas chez nous avec la Société Nationale d’Edition et de Diffusion (SNED, à ne pas confondre avec le Syndicat National des Entreprises de Démolition en France). Elle était le fruit de la nationalisation de Hachette Algérie après l’indépendance. Elle devient l’Entreprise Nationale Algérienne du Livre (ENAL) en 1983 avant d’être dissoute et bradée en 1988 emballant dans des cartons les souvenirs de la réussite de la première rentrée scolaire en Algérie. Après 132 ans de colonialisme, octobre 1962, un pari, un défi, un miracle.

« Le plus parfait des régimes politiques, c’est le régime qui crée la plus grande somme de bonheur possible, la plus grande somme de sécurité sociale et la plus grande somme de stabilité politique. » Simon Bolivar.

Les Vénézuéliens ordinaires savent de quelle sauvagerie est capable la caste haineuse qui refuse même l’idée que ses privilèges et son immense richesse soient un peu réduits. Hugo Chavez avait reconnu devant la Cour interaméricaine des droits de l’Homme la responsabilité de l’Etat vénézuélien dans le massacre de février 1989. Il avait promis à son arrivée au pouvoir que chacun de ses mouvements serait soumis à la volonté du peuple. Promesse tenue, en huit années, Chavez a remporté huit élections et référendums : un record mondial. Maduro en fait de même au nom de la révolution bolivarienne.

Les Vénézuéliens ordinaires éduqués et politisés savent que cette élite fausse et sceptique assure sa part de travail de sous-traitante dans les attaques médiatiques contre le Venezuela. Ils savent que leur vie s’est radicalement améliorée par la révolution socialiste bolivarienne qui a apporté la justice sociale et la fierté à des millions de personnes malgré la diabolisation des politiques sociales gouvernementales exécutée par la presse mondiale.

Quant à moi, le rêve de fouler le sol du Venezuela ne s’est pas effondré. Le courant électrique a été rétabli et dans quelques heures je pouvais m’envoler pour la terre d’El Libertador. Mon séjour s’annonce chargé à Caracas qui accueille le XXV° Forum de Sao Paulo et fête son 452ème anniversaire. Avec plus de 300 activités culturelles, récréatives et sportives, y compris la Foire du livre, la capitale s’apprête à célébrer « La semaine des insurgés, de Bolivar à Chavez ».

Samia Zennadi. Alger le 1er octobre 2019.

Source : Mohamed Bouhamidi, 2 oct 2019

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