Tunisie : Le soutien problématique d’Ennahda à Kaïs Saïed

A moins que les législatives en Tunisie ne se traduisent elles aussi par un vote sanction aux dépens des partis du système, on risque de voir ces mêmes partis rafler le meilleur des sièges de l’Assemblée, avant de se coaliser sous une forme ou sous une autre, se donnant de la sorte les moyens de dicter leurs choix au président à élire lors d’un deuxième tour dont la date n’est toujours pas fixée, quel que soit ce dernier, Kaïs Saïed ou Nabil Karoui.

Cet objectif serait d’autant plus facile à atteindre pour eux que la Constitution tunisienne limite les prérogatives du président de la République aux questions de Défense, de sécurité et de politique étrangère. Toutes les autres compétences, en particulier celles touchant les domaines économiques et sociaux, ne relèvent pas de lui, mais du gouvernement, un déséquilibre dans les pouvoirs dévolus aux deux pôles de l’exécutif dont s’est déjà plaint le premier président élu dans le cadre de cette Constitution, le défunt Béji Caïd Essebsi.

Si le régime que cette Constitution institue n’est évidemment pas présidentiel, il n’est pas réellement parlementaire non plus. Tout au plus peut-on le qualifier de pseudo-parlementaire. Dans l’esprit de ceux qui l’ont conçue, tout semble s’être passé comme s’il s’agissait avant tout de ne pas reconduire le régime présidentiel en vigueur au moment de la «révolution» de 2011. Autrement, ç’aurait été de leur part nier que la chute de Ben Ali soit une révolution.

Or il leur paraissait essentiel d’hériter, de procéder d’une révolution, bien qu’ils n’aient jamais explicitemen revendiqué d’autre légitimité que celle des urnes. N’empêche, c’est de cette dimension révolutionnaire qu’ils ont été dépouillés à l’occasion du premier tour de la présidentielle. Quel que soit celui des deux finalistes qui sera élu, il risque de se trouver bien isolé dans son palais de Carthage, tout à fait impuissant à influer dans la prise de décision sur des sujets d’une importance capitale pour ses électeurs.

Ni le juriste Saïed, ni l’homme d’affaires Karoui n’ont été qualifiés pour le deuxième tour pour connaître au bout du compte ce sort. Encore que la situation des deux hommes ne soit pas exactement la même à cet égard. Karoui est issu de ce même système qu’il en est venu à contester. Sa candidature est portée par un parti, son parti, Kalb Tounès, partie prenante aux législatives du 6 octobre.

Ce n’est pas le cas de son compétiteur, qui même élu à une écrasante majorité n’aura pas de relais dans l’Assemblée. A moins bien sûr qu’il s’allie aux partis qui auront appelé à voter pour lui au deuxième tour, comme c’est du reste déjà de l’un d’entre eux, et non des moindres, puisqu’il n’est autre qu’Ennahda. Jusque-là, Saïed n’a encore fait aucune déclaration concernant ce soutien, qui n’est pas nécessairement un cadeau.

En s’empressant de le lui apporter, Ennahda a de toute façon en vue davantage ses intérêts, compromis depuis le vote antisystème du 15 septembre, qui notamment a éliminé son candidat du deuxième tour, que ceux de Saïed. On peut même se demander si en fait son intention n’est pas de lui donner le baiser de la mort.

Saïed peut très bien s’en alarmer et rappeler qu’un soutien librement, unilatéralement apporté ne donne pas droit à une alliance dans les règles. Cela dit, il se peut qu’Ennahda appelle à voter non pas tant pour lui que contre son rival, Karoui. Le parti de Ghannouchi a été en effet, avec Tayha Tounès, le plus hostile à la candidature de ce dernier.

Le Jour d’Algérie, 2 oct 2019

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