Le Maroc réduit au silence les journalistes en s’attaquant à leur vie privée

Le gouvernement a recours aux lois sévères du Code pénal au lieu du Code de la presse pour poursuivre les journalistes

La justice marocaine a récemment cessé de promouvoir des procès explicites contre la liberté d’expression des journalistes dissidents. Il n’y a plus de cas ou d’emprisonnement comme ceux d’Ali Lmrabet, Driss Chahtane ou Ali Anouzla, jugés au Maroc entre 2003 et 2013 en raison de leurs publications, note El Confidencial dans un article publié lundi dernier. Le nouveau Code de la presse, promulgué en 2016, ne prévoit plus de peines d’emprisonnement pour les prétendus abus de la liberté d’expression. Pour faire taire ses critiques, le gouvernement a pris pour cible la vie privée de ses enquêteurs, les exposant, afin de les poursuivre en vertu d’un code pénal plus strict.

L’affaire contre une jeune journaliste de 28 ans arrêtée le 31 août pour « relations sexuelles hors mariage » et « avortement » met en lumière la nouvelle manœuvre du gouvernement. Hajar Raissouni travaille pour le journal indépendant Akhbar Al-Yaoum et est la nièce d’un éditorialiste très critique à l’égard du pouvoir. Elle a été arrêtée avec son fiancé qu’elle devait épouser le 14 septembre, Amin Rifaat, alors qu’ils sortaient d’une clinique de Rabat. Son médecin, un infirmier et une secrétaire travaillant à la clinique ont également été arrêtés, accusés de pratiquer  un avortement.

Pour les associations de défense des droits de l’homme et pour une grande partie de leurs collègues, leur détention, après d’autres semblables, est une nouvelle manifestation d’une méthode néfaste destinée à faire taire les voix dissidentes.

« Nous avons assisté à une multiplication d’affaires impliquant des journalistes nonpas selon le Code de la presse pour leurs écrits, mais selon le Code pénal pour avoir violé la morale et les bonnes mœurs, et parfois pour apologie du terrorisme », explique le directeur du site Yabiladi.com, Mohammed Ezzouak. « Au lieu d’être immédiatement persécutés par leurs écrits, des journalistes comme Raissouni sont attaqués plus tard en utilisant des articles du Code pénal ».

Le Code pénal marocain prévoit des peines pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement pour les couples ayant des rapports sexuels hors mariage. De même, la femme qui se fait avorter est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement assortie d’une amende.

Un autre cas est celui de Hamid Mahdaoui, du site d’information Badil.info, condamné à trois ans de prison pour « n’avoir pas informé les autorités d’une menace à la sécurité intérieure de l’État ». En août 2016, deux mois après les élections législatives, Fatima Neyar et Moulay Omar Benhamad du Mouvement pour l’unité et la réforme ont été pris en embuscade sur une plage, accusés de « flagrant adultère », pour s’être retrouvés seuls dans une voiture

Le cas de Hicham Mansouri, un militant de la presse d’investigation qui a été arrêté, selon son témoignage, lorsqu’un matin de 2015 une amie lui a rendu visite chez lui et que des policiers ont fait irruption sur les lieux, les forçant à se déshabiller et prenant des photos de la scène. Il a été condamné à 10 mois de prison.

Selon Mansouri, le recours au Code pénal plutôt qu’au Code de la presse présente des avantages évidents.  » Le coût politico-médiatique est moindre au-delà des frontières du Maroc », souligne.  » En outre, la réputation du journaliste est détruite et sa vie privée est révélée par des fuites publiées dans la presse officielle ».

Le but est de choquer l’homme de la rue, plutôt conservateur, a ajouté Mansouri. « Ma famille a dû déménager dans une autre ville parce que l’ambiance est devenue irrespirable là où elle vivait quand on a su de quoi on m’accusait », a-t-il dit.

Le gouvernement ne se contente pas de persécuter des journalistes, mais aussi des hommes d’affaires, des cadres et des intellectuels. En 2017, la propriétaire de la compagnie aérienne Dalia Hind el Achchabi a été condamnée à deux ans de prison pour avoir eu un enfant né hors mariage, bien qu’elle affirme que sa relation a commencé après son divorce. Taoufik Bouachrine, ancien directeur du même journal où travaillait Raissouni, a été condamné à 12 ans de prison fin 2018 pour « abus de pouvoir à des fins sexuelles » et « viol et tentative de viol »après avoir été filmé par des caméras cachées dans son bureau à son insu.

Un autre avantage d’une procédure pénale sur une procédure civile est qu’il est plus difficile pour les organisations internationales qui s’occupent des droits de l’homme de défendre un journaliste accusé d’avoir avorté ou d’avoir commis un adultère. Les ONG Amnesty International et Human Rights Watch soutiennent qu’une violation de la vie privée n’a pas le même impact sur l’opinion publique que les violations de la liberté d’expression, un droit protégé par le premier amendement à la constitution des États-Unis.

« C’est une sorte d’avertissement adressé à d’autres activistes ou informateurs qui ont pu être déroutés ou subventionnés pour comprendre qu’il est dans leur intérêt de garder le silence », ajoute Mansouri.

Source : Infobae

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