Site icon Maghreb Online

Maroc-France : Le « Qotbi Show »

L’entourage de Mohammed VI va utiliser ces deux réformes pour conquérir l’élite parisienne, dans un contexte politique balisé par la présence à la tête de l’État français de deux personnalités proches du palais : à l’Élysée depuis 1995, Jacques Chirac se considère comme un membre de la famille alaouite.
Il est surnommé « Jacques El Alaoui » par les Marocains, et s’estime redevable à Hassan II qui lui a demandé, quelques jours avant sa mort, de veiller sur ses enfants et d’aider son fils dans sa nouvelle fonction.

À Matignon depuis mai 2005, Dominique de Villepin est un autre « ami » de Rabat, où il est né et où il a passé une partie de son enfance.

L’homme qui sera choisi par le palais pour mener à bien l’opération de conquête est, justement, un ami très proche de Dominique de Villepin : Mehdi Qotbi, un peintre franco-marocain au parcours balzacien, qui deviendra en quelques années un lobbyiste incontournable du début du règne de Mohammed VI.

Né en 1951 à Takaddoum, un quartier populaire de Rabat, Qotbi a grandi dans une famille très modeste. Ses études, il les a faites à l’école publique Lalla Aïcha, mais c’est sa rencontre avec le peintre marocain Jilali Gharbaoui qui l’a le plus marqué, dit-il. Téméraire, débrouillard et persévérant, il aime à répéter qu’il ne pouvait « compter que sur [ses] propres moyens et [son] propre culot ». En 1968, il parvient à obtenir un passeport, ce qui était difficile à cette époque car les visas n’étaient pas encore exigés pour entrer en Europe. Il s’envole pour Toulouse où il s’inscrit à l’école des beaux-arts. Il s’installe ensuite à Paris et devient professeur d’art plastique dans un collège de banlieue. « Petit de taille, des cheveux crépus, des yeux charbonneux, un rire de ténor d’opéra, l’homme est une sorte d’agent double. Professeur de dessin dans un lycée parisien et artiste peintre pour les uns ; vice-roi du Maroc à Paris pour les autres. Il ne commande à personne mais connaît tout le monde. Il n’a aucune fonction officielle mais tout passe par lui. Sa force, c’est son culot, son obstination. Le chasse-t-on par la porte, il revient par la fenêtre. Impossible de s’en débarrasser» .

C’est en 1985, à bord d’un avion Paris-New York, que Mehdi Qotbi fait la « rencontre » de sa vie, avec celui qui deviendra plus qu’un ami, dit-il, un « frère » : Dominique de Villepin, à l’époque premier secrétaire à l’ambassade de France à Washington. Grâce à cette proximité, Qotbi aura plus tard ses entrées à l’Élysée où Chirac s’est installé en 1995, et grâce à qui il sera fait chevalier de la Légion d’honneur.

C’est donc à ce personnage que Mohammed VI confie une partie de la logistique de conquête du Tout-Paris politico-médiatique. Paradoxe : on choisit le mois de novembre 2005, cinquantenaire de l’indépendance du Maroc, pour fêter « l’ère M6 » à Paris avec le gratin de l’ancienne puissance
colonisatrice.

Le « Maroc nouveau », le « Maroc qui marche », le « roi citoyen », « roi des pauvres », « commandeur des croyants moderne », « amoureux de la France », le « meilleur rempart » contre l’intégrisme islamiste, celui qui a osé s’attaquer à l’inamovible statut de la femme et « soldé » sans complexe l’héritage répressif de son père… tels sont les slogans que les thuriféraires du palais sont venus promouvoir auprès de l’élite française en ce mois de novembre 2005, à travers une « grande manifestation » qui se déroulera à Paris en trois actes.

L’ouverture, d’abord, le 3 novembre 2005, au Fouquet’s, le célèbre restaurant des Champs-Élysées, symbole du clinquant et du bling-bling.

Les convives, triés sur le volet, sont des figures incontournables du gotha parisien. Ils sont invités pour fêter « les retrouvailles entre deux nations amies liées par une histoire commune », déclara Qotbi en sa qualité de président fondateur du cercle d’amitié franco-marocaine, dont le vice-président est Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand.

Il y avait du beau linge ce 3 novembre au Fouquet’s où les plats avaient été confectionnés par des chefs venus spécialement de la Mamounia à Marrakech et du Dorint Atlantic Palace d’Agadir, les deux villes les plus touristiques du royaume. La liste des invités s’étire de la droite à la gauche de l’échiquier politique, outre une poignée de journalistes : Roland Dumas et Hubert Védrine, Dominique Baudis, à l’époque président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, Caroline Pigozzi, la journaliste quasi patentée du palais à Paris Match, Brice Hortefeux, à l’époque ministre délégué aux collectivités locales et « porte-flingue » de Nicolas Sarkozy, etc.

Alors que les invités de « M6 » festoyaient au Fouquet’s, des dizaines de banlieues françaises, où vit en majorité une population originaire d’Afrique du Nord et d’Afrique noire, sont à feu et à sang après la mort – par électrocution – de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, alors qu’ils tentaient d’échapper à des policiers à Clichy-sous-Bois, l’une des banlieues parisiennes les plus touchées par le chômage. D’ailleurs, si Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, n’était pas de la partie, c’est parce qu’il était « occupé à rétablir l’ordre », répétait, confus, son conseiller diplomatique.

Le deuxième acte de la conquête se déroule le 7 novembre, à l’Assemblée nationale. Il prend cette fois la forme d’un colloque inauguré par un message de Jacques Chirac, louant « cinquante ans d’une amitié dans la durée entre deux nations ». Là aussi les invités sont des hommes politiques de tous bords, dont l’inévitable Hubert Védrine, mais aussi quelques journalistes-écrivains comme Jean Daniel et Jean Lacouture (mort en 2015).

Le troisième et dernier acte a lieu le 15 novembre à la chambre de commerce et d’industrie de Paris. C’est la phase économique et financière de l’opération, la plus importante. Mehdi Qotbi est présent mais il est vite « éclipsé » par André Azoulay, qui réapparaît en compagnie de ses amis patrons : Gérard Pélisson, président du directoire du groupe Accor, Charles Milhaud, patron de la Caisse nationale des caisses d’épargne, etc.

Source : La République de Sa Majesté, Omar Brouksy,

Tags : Maroc, Mohammed VI, Makhzen, France, lobbying, gotha français,

Quitter la version mobile