Maroc : Quand Hassan II accusait ses détracteurs d’être « contre la marocanité du Sahara »

LETTRE OUVERTE A HASSAN II

A Sa Majesté Hassan II, roi du Maroc

Majesté,

Je vous écris cette lettre ouverte tout en sachant qu’il est utopique de ma part de croire qu’il y ait un seul journal au Maroc qui puisse se sentir libre de la publier.

Majesté, lors de l’interview accordée à la revue française Le Point, vous avez affirmé à propos des détenus politiques que vous n’avez qu’un problème : celui du Sahara ; que tous ceux qui avaient « comploté » contre le régime ou contre votre personne même avaient été libérés, et que ne restaient en prison que ceux qui disent que « le Sahara n’est pas marocain».

Pourtant il y a au Maroc des centaines de détenus politiques. Certains d’entre eux sont membres de partis légaux, tels le PPS et l’OADP, qui sont représentés au parlement et sont alignés sur votre politique extérieure et qui, afin de soutenir l’effort de guerre, votent le budget de la défense sans intervenir dans la discussion.

Dans notre groupe de détenus à la prison centrale de Kénitra, certains de mes camarades ont toujours clamé haut et fort la marocanité du Sahara, aussi bien au sein du mouvement politique que nous formions que lors du procès, et aujourd’hui même le clament à chaque occasion.

Certains sont maintenant membres de partis légaux –et leurs partis ne cessent de rappeler leur détention- et d’autres sont non-organisés.

Il y a aussi ceux qui n’ont jamais exprimé publiquement, même lors du procès, ce qu’ils pensaient de cette question, et à eux aussi vous appliquez l’expression « disent que le Sahara n’est pas marocain ».

Le Maroc prétendant être un Etat de droit, et si l’on admet que reconnaître le droit à l’autodétermination des sahraouis est un acte très dangereux et répréhensible, il faudrait, Majesté, que l’on nous fasse connaître au moins quel est le tribunal qui, en votre nom, nous aurait jugés à cause de nos opinions à propos du Sahara Occidental.

Je vous rappelle, Majesté, que lors du procès de notre groupe, qui s’est déroulé à Casablanca en janvier et février 1977, les accusations portées contre nous étaient :

– Complot contre la monarchie ;

– Tentative de renversement du régime monarchique en vue de l’instauration d’une république démocratique et populaire ;

– Atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat ;

– Constitution d’associations interdites ;

– Falsification de documents ;

– Outrage à magistrat.

En fait, Majesté, si le Maroc était un Etat de droit, et si ce droit pouvait légitimer la répression de ceux qui sont pour le droit à l’autodétermination, le premier à passer devant un tribunal devrait être l’Etat marocain lui-même, qui s’est engagé devant les instances internationales comme l’OUA et l’ONU non seulement à permettre le déroulement d’un référendum d’autodétermination au Sahara, mais à en respecter toutes les conséquences, y comy compris l’indépendance si tel est le vœu des Sahraouis.

Majesté, juridiquement, la majorité des centaines de détenus politiques marocains n’ont rien à voir avec la question du Sahara. Notre groupe des détenus de Kénitra, auquel vous faites souvent allusion, est adopté par Amnesty International en tant que « détenus d’opinion ».

Nous luttons parce que nous ne voulons pas demeurer des sujets mais devenir des citoyens d’un pays démocratique. Et notre lutte aujourd’hui passe par notre refus de marchander la liberté, le refus de changer d’opinion sans conviction.

Souvent des responsables de l’Etat marocain haut placés ont tenté de justifier notre répression par un prétendu refus de notre part d’exprimer nos opinions, d’exercer nos activités politiques dans le cadre des institutions de la monarchie constitutionnelle. Mais la vraie question qui se pose est de savoir si la monarchie constitutionnelle d’aujourd’hui nous permet à nous, tels que nous sommes, dans la diversité de nos opinions, de nous exprimer librement et, pour ceux qui le désirent, d’exercer librement leurs activités politiques. Or, notre détention, celles de centaines d’autres détenus, la disparition de nombreux citoyens, les arrestations et les tracasseries policières auxquelles sont soumis ceux qui prétendent avoir un mot à dire au sujet du destin de notre pays, prouvent que le Maroc n’est pas encore un pays démocratique qui permet à ses citoyens de penser
librement.

Majesté, forts de notre droit, nous luttons et continuerons à lutter pour notre liberté jusqu’à ce que nous ayons gain de cause.

Source : « Le combat d’un homme de gauche », de Abdallah Zaazaa

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