La France au Rwanda, 25 ans d’impunité

Mitterrand est président du 21 mai 1981 au 17 mai 1995

Le génocide des Tutsi au Rwanda eut lieu du 7 avril 1994 jusqu’au 17 juillet 1994 au Rwanda. Un génocide perpétré par des extrémistes de l’ethnie hutu contre la population tutsi faisait un million de morts. Ce que montre cet article c’est la complicité évidente de la présidence et du gouvernment français.Ce que l’on sait et dont parle cet article c’est que le massacre a été préparé de longue date. Il faut se souvenir qu’un journaliste David Servenay a retracé les flux financiers qui ont alimenté les génocidaires. Pour acheter leurs armes, les extrémistes hutu ont profité de la complicité de banques françaises comme la BNP, mais aussi de la « cécité » d’institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale.On peut ici une fois de plus voir que les crimes contre l’humanité accompli par les occidentaux et la France en particulier ont pour bailleurs des institutions financières.(note de danielle Bleitrach)

LES COMPLICITÉS D’UN GÉNOCIDE

paru dans CQFD n°177 (juin 2019), par Julien Moisan, illustré par Alexis Huguet
mis en ligne le 04/09/2019 – commentaires

Entre avril et juillet 1994, le génocide des Tutsis a fait entre 800 000 et un million de victimes. Il s’est accompagné du massacre de Hutus opposés à cette extermination. En soutenant les auteurs du génocide, les autorités politiques et militaires françaises se sont rendues complices de ce crime. Cette complicité – avant, pendant et après le génocide – est attestée par de nombreux documents et témoignages. Pourtant, aucun responsable hexagonal n’a jamais été jugé.

Rwanda, 2019. Des vêtements trouvés dans des fosses communes sont suspendus afin que les rescapés puissent retrouver leurs proches disparus. Les associations de victimes estiment que près de 40 000 corps se trouvaient dans ces charniers découverts à partir d’avril 2018 à Kabuga, dans la banlieue de Kigali. (Photo Alexis Huguet) {JPEG}

Pendant l’été 1994, François Mitterrand fit cette élégante remarque à des proches : « Dans ces pays-là, un génocide c’est pas trop important. [1] » un beau résumé du mépris et du cynisme de la politique française en Afrique… Car dès 1990, via son ambassade à Kigali et la DGSE, Paris sait qu’un génocide peut survenir : plusieurs massacres de ce type ont déjà été organisés sous la responsabilité des autorités rwandaises.

Mais à l’époque, si elle cesse de soutenir son allié rwandais, la France risque de perdre son influence dans ce pays situé aux portes de l’immense Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) et de ses richesses minières. Le Rwanda étant également au carrefour des aires anglophones et francophones, cette petite contrée doit rester du bon côté… Paris apportera donc avant, puis pendant le génocide, un appui militaire, diplomatique et financier au pouvoir rwandais. Les intérêts géopolitiques et la fidélité affichée à son allié, fût-il un régime autoritaire et criminel, ont constitué les priorités de l’engagement hexagonal au Rwanda.

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Soutien militaire à une armée en déroute
À partir de 1990, la France forme l’armée et la gendarmerie rwandaises. Grâce à cet appui, les effectifs des Forces armées rwandaises (FAR) sont multipliés par dix, atteignant les 50 000 hommes. Des témoins ont indiqué que des miliciens avaient également été formés par des militaires français. En 1990, pendant l’opération militaire Noroît (1990-1993), officiellement destinée à la protection des expatriés hexagonaux, l’armée française s’engage sur le front, aux côtés des FAR, pour bloquer l’avancée des troupes du FPR (Front patriotique rwandais, créé en Ouganda en 1987-1988 par des exilés rwandais tutsis chassés du Rwanda et interdits de retour [2]).

Jean Varret, chef de la mission militaire de coopération au Rwanda d’octobre 1990 à avril 1993, a récemment fait des révélations. Elles illustrent le fait que la France a continué, en toute connaissance de cause, à former, armer et entraîner les forces armées d’un régime qui se radicalisait et préparait un génocide. À l’époque, les alertes de Jean Varret n’ont qu’un seul effet : l’homme est mis au placard et remplacé, un an avant le génocide, par le général Huchon, issu de l’état-major particulier de l’Élysée.

Face au génocide, les militaires français restent passifs. Pendant l’opération Amaryllis, destinée à évacuer les ressortissants français au début du génocide, les troupes hexagonales n’interviennent pas pour faire cesser les massacres dont elles sont les témoins directs. Pendant l’opération militaire Turquoise, menée à partir de fin juin 1994 par la France sous mandat de l’ONU, les soldats porteront secours dans un deuxième temps à des Tutsis mais laisseront par ailleurs des actes de génocide se poursuivre dans la zone sous leur contrôle.

La France livre des armes avant et pendant le génocide. Cela a été reconnu par Hubert Védrine [3] en 2014 comme « la suite de l’engagement d’avant » au côté des forces armées rwandaises, toujours en guerre contre le FPR – Védrine prétendra ensuite que cela n’a « rien à voir avec le génocide ». Même l’embargo décidé par l’ONU en mai n’empêche pas les armes d’arriver par Goma [4], au Zaïre, à la fin du génocide, quand l’aéroport est contrôlé par les militaires français de l’opération Turquoise.

À la fin du génocide, la France protège puis laisse fuir les responsables. La « zone humanitaire sûre », contrôlée par la France au sud-ouest du pays, sert de refuge aux génocidaires qui n’y sont ni désarmés ni arrêtés. Le Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), une partie de l’armée et des milices génocidaires fuient librement vers le Zaïre voisin avec armes et bagages. Quand ces hommes prépareront la reconquête du Rwanda, la France les entraînera et les réarmera. Ils finiront par former les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui seront à l’origine de la déstabilisation du Kivu, immense zone frontalière zaïroise qui est aujourd’hui encore en proie aux violences commises par divers groupes armés.

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Appui diplomatique et financier à un régime extrémiste

Le soutien politique de la France au gouvernement génocidaire est décisif. Le 6 avril 1994, l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana (un Hutu) est abattu. Dans la foulée, des responsables politiques opposés au projet génocidaire sont assassinés. Les partisans du Hutu Power prennent alors le pouvoir. Ce Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), maître d’œuvre du génocide à venir, est constitué en partie au sein même de l’ambassade de France à Kigali, avec le soutien de l’ambassadeur.

À l’ONU, où le Rwanda siège au Conseil de sécurité en tant que membre non permanent, Paris soutient ce nouveau gouvernement. Plusieurs de ses leaders sont reçus en France : le 27 avril 1994, le ministre des Affaires étrangères du GIR (qui est en train de commettre le génocide) et le leader du parti extrémiste CDR (Coalition pour la défense de la République) sont reçus officiellement par le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, le Premier ministre Édouard Balladur et, à l’Élysée, par Bruno Delaye, conseiller Afrique de François Mitterrand.

La France figure parmi les créanciers des génocidaires. De 1991 à mars 1994, l’ensemble des bailleurs de fonds, dont la Banque mondiale et la coopération française, financent le régime rwandais – tout en sachant qu’il affecte une grande partie de ces versements à l’achat d’armes et d’équipements (50 % des recettes de l’État en 1992), utilisés ensuite pendant le génocide. Après le déclenchement des massacres, le gouvernement trouve encore des banques qui acceptent de financer des achats d’armes : un compte ouvert à la BNP sert à payer une commande effectuée par le colonel rwandais Théoneste Bagosora aux Seychelles, et livrée les 16 et 18 juin 1994.

Un déni durable

Malgré les preuves qui s’amoncellent, un discours négationniste s’exprime toujours. Certains responsables politiques, journalistes et chercheurs nient ou relativisent le rôle de la France dans le génocide en utilisant des arguments négationnistes tels que l’accusation de « double génocide » (qui met sur le même plan les crimes commis par le FPR et le génocide perpétré contre les Tutsis) ou l’affirmation selon laquelle le génocide serait une réaction spontanée des Rwandais à l’assassinat du président Habyarimana. Cela revient à nier que le génocide était préparé de longue date et que, le sachant, la France a néanmoins poursuivi son soutien au régime rwandais.

La justice, ici, ne fait pas de zèle. En 2004, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour la lenteur de sa justice dans l’examen d’une plainte déposée contre un responsable rwandais accusé d’avoir participé au génocide. Véritable terre d’asile pour les génocidaires présumés, la France a attendu 2010 pour créer un Pôle d’instruction dédié aux crimes contre l’humanité. Le premier procès s’est tenu en 2014 et s’est conclu par la condamnation de Pascal Simbikangwa à 25 ans de prison. La confirmation de ce verdict (après appel et pourvoi en cassation) a acté, enfin, la reconnaissance de l’existence même du génocide – et donc de sa dimension planifiée – par la justice française. Deux autres procès (seulement) ont eu lieu depuis ; d’autres encore devraient se tenir prochainement, mais les procédures avancent très lentement. En tout, une trentaine de plaintes contre des Rwandais ont été déposées.

Quant aux plaintes qui visent des Français, aucune n’a encore débouché sur un procès [5]. Les responsables militaires, notamment, bénéficient d’un manque de moyens organisé et d’une forme d’autocensure de la part des juges, qui font tout pour éviter de les mettre en cause, refusant notamment d’auditionner les principaux acteurs concernés pour « mieux » vider les dossiers d’un contenu qui forcerait non seulement à les juger, mais aussi à admettre que cette complicité ne fut pas la volonté d’hommes isolés mais bien d’institutions.

Julien Moisan

Pour en savoir plus, consulter le rapport de synthèse « Déni et non-dits : 25 ans de mensonges et silences complices sur la France et le génocide des Tutsis du Rwanda », publié en avril par l’association Survie, spécialisée dans la dénonciation du système « Françafrique ».

Bisesero : trois jours de trop

Le 27 juin 1994, dans les collines de Bisesero, à l’ouest du Rwanda, une patrouille française découvre une centaine de survivants tutsis traqués par les génocidaires, et en informe sa hiérarchie. Près de deux mille survivants se terrent, dispersés sur les hauteurs. Ces Tutsis en danger de mort ne sont ni évacués, ni protégés. Ce n’est que trois jours plus tard, le 30 juin, qu’un autre détachement des forces de Turquoise, détournant pour cela son ordre de mission, leur porte secours. Entre-temps, plus d’un millier d’entre eux ont été massacrés par les génocidaires.

Il s’agit d’un épisode emblématique du débat sur le rôle de la France dans ces crimes. Pourquoi ce délai ? Que s’est-il passé du 27 au 30 juin 1994 dans la chaîne de commandement militaire et politique française ?

Rwanda, 2019. Innocent Gasinzigwa, responsable local d’Ibuka, une association de rescapés. Ce sont les confidences d’un ancien génocidaire libéré de prison qui ont permis l’an dernier la découverte des fosses de Kabuga. Au début du printemps 2019, de nouveaux charniers ont encore été découverts dans ce quartier. (Photo Alexis Huguet) {JPEG}

La reconnaissance attendra

Côté français, les commémorations officielles, à la date « anniversaire » du déclenchement du génocide, ont accouché d’un simple exercice de com’. Et de promesses fumeuses.

Vingt-cinq ans après, Emmanuel Macron était attendu au tournant. Allait-il enfin sortir d’un déni de moins en moins tenable face aux preuves et témoignages de plus en plus accablants ? Que nenni. Mais en usant d’annonces a priori symboliques, il aura presque réussi à noyer le poisson.

Le président français était attendu à Kigali pour les commémorations officielles du 7 avril. Il a préféré ne pas s’y montrer. À sa place, il a envoyé un député français d’origine rwandaise. Un rescapé du génocide « sauvé par les militaires français et adopté par une famille française ». Joli coup médiatique.

Macron a également communiqué sur sa volonté de renforcer les moyens (jusqu’ici dérisoires) de la magistrature française, afin qu’elle puisse juger les présumés génocidaires rwandais. Une telle annonce est difficile à croire : plusieurs responsables présumés du génocide ont été chaleureusement accueillis par la France, qui les protège depuis vingt-cinq ans. Mais, de cela, Macron n’a pas touché mot. Rien non plus sur le refus systématique de la France de répondre aux demandes d’extraditions du Rwanda (contrairement à la plupart des autres pays concernés), et encore moins au sujet des dossiers judiciaires (tous portés par des associations) qui concernent des politiques et militaires français – et dont aucun n’a pour l’instant accouché d’un procès.

Des archives toujours cadenassées

La complicité de nombre de responsables français est avérée par de nombreux documents, contrats, témoignages, etc. Seule l’ampleur de cette complicité reste à démontrer. Macron joue pourtant la carte de la page blanche et annonce la création d’une commission d’historiens et de chercheurs, « afin d’analyser le rôle et l’engagement de la France durant cette période ». Et l’Élysée de préciser qu’il s’agira de « mener un travail de fond centré sur l’étude de toutes les archives françaises concernant le Rwanda entre 1990 et 1994 ».

Toutes les archives, vraiment ? Il est permis d’en douter. Jusque-là, l’État a toujours bloqué l’accès effectif aux documents les plus sensibles, beaucoup restant classés « secret-défense ». Certains ont effectivement été déclassifiés, mais n’ont été ni publiés ni tenus à disposition des principaux intéressés, les juges d’instruction et les parties civiles. La dernière annonce de déclassification, sous François Hollande, n’a finalement concerné qu’une partie des archives, et pas les plus explosives [6]. De toute façon, le président de la commission Macron, Vincent Duclert, l’a lui-même reconnu : les archives de François Mitterrand ne resteront accessibles qu’au bon vouloir de sa mandataire personnelle, Dominique Bertinotti.

Dans la France du printemps 2019, l’aveuglement et le déni ont encore de beaux jours devant eux. Les politiques, de droite comme de gauche (ils gouvernaient en cohabitation au moment des faits), rivalisent d’imagination pour nier leur responsabilité. Mention spéciale aux éléphants socialistes, passés près de la syncope quand Raphaël Glucksmann a rappelé début mai que la Terre n’est pas plate et qu’il ne souhaitait pas être associé à l’héritage de Mitterrand au vu de sa responsabilité au Rwanda. En réponse à l’impudent, Hubert Védrine et vingt-deux de ses collègues, anciens ministres ou collaborateurs de feu le président, ont signé une lettre affirmant que « rien, absolument rien, ne peut justifier les accusations de “complicité de génocide” ». Et de crier aux « insultes et accusations infondées ». Le ridicule ne tue pas. Un génocide, si.

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