Yigal Bin Nun : « Nos contacts avec le Maroc datent de la guerre des sables »

Historien pour certain, ancien agent du Mossad pour d’autres, Yigal Bin – Nun, d’origine Marocaine, chargé de cours à l’Université de Paris VIII, étudie depuis plusieurs années les relations secrètes entre le Maroc et Israël. C’est dans ce cadre qu’il a, entre autre, reconstitué les modalités de l’émigration de la communauté juive, d’abord clandestine, organisée par le tout jeune Mossad, puis officialisée par ce qui fut sobrement appelé « l’accord de compromis » entre Hassan II et Israël. Ses liens déclarés avec Meir Amit, l’ancien patron du Mossad, lui ont certainement été très utiles. Bin Nun répond aujourd’hui aux questions du Courrier d’Algérie

Courrier d’Algérie : À quel moment la coopération officielle entre le Maroc et Israël a t-elle commencé ? Et à quel moment les relations deviennent elles officielles ?

Yigal Bin-Nun : La coopération officielle entre le Maroc et Israël, sans rapport avec le sujet de l’émigration, débuta exactement le début février 1963. Elle fut précédée par « l’accord de compromis » conclut au début août 1961, sous couvert de l’organisme humanitaire d’émigration HIAS (Hebrew Sheltering and Immigrant Aid Society). Contrairement aux publications de Ahmed Boukhari et d’Agnès Bensimon (*) , ces relations n’ont jamais commencé en 1959 (mais en février 1963) et le premier directeur du Mossad, Isser Harel, disparu dernièrement, n’a jamais effectué de voyage officiel au Maroc et n’a jamais rencontré Hassan II. Ce n’est que son successeur, Meir Amit, qui effectua un voyage officiel au cours du mois d’avril et fut reçu par le général Mohamed Oufkir et par Hassan II dans un petit pavillon du palais de Marrakech.

De quelle façon l’intrusion du Mossad au Maroc s’est-elle faite ? Les autorités marocaines en étaient-elles informées?

La première rencontre officielle s’effectua entre le bras droit de Isser Harel – Y. C. et le général Mohamed Oufkir à la rue Victor Hugo à Paris, au domicile du commissaire de police français, délégué à l’Interpol, Emil Benhamou, d’origine algérienne (né à Tlemcen), suivie d’une série de rencontres entre Oufkir et l’agent du Mossad D. Sh. Dans les hôtels genevois Beau Rivage (quai du Mont-blanc 13) et Cornavin (23 boulevard James-Fazy). Oufkir avait reçu précédemment le feu vert de Hassan II. À la mi-février, Ahmed Dlimi, l’adjoint d’Oufkir à la Sécurité Nationale, effectua un voyage en Israël pour des rencontres de travail avec le Mossad. Le 12 avril 1963, l’ambassadeur d’Israël à Paris Walter Eitan, rencontra son homologue l’ambassadeur marocain en France, Mohamed Cherkaoui.

Est-il vrai qu’Israël aurait soutenu le Maroc dans la «Guerre des sables» avec l’Algérie en livrant des blindés ? (Israël aurait aussi aidé «technologiquement» le Maroc au Sahara, notamment dans la construction du Mur !!)

La visite officielle du chef du Mossad le général Meir Amit et de son adjoint Y. C. au palais de Marrakech avec le roi et Oufkir s’effectua à la suite de l’échec des négociations entre Hassan II et le président algérien Ahmed Ben Bella à Alger concernant les problèmes frontaliers. Effectivement en 1980, le général Yitshak Rabin, futur Premier ministre, conseilla à Ahmed Dlimi la construction du mur protégeant « le Sahara utile » et les mines de Boucar‘a.

Quelle fut la plus importante rencontre ?

À partir de ces premières rencontres, tous les agents qui se succédèrent au Mossad arrivèrent au Maroc et rencontrèrent le roi, Oufkir, Dlimi et d’autres personnalités marocaines.

Peut-on citer des cas similaires, à l’image des relations entre le Royaume et Israël, par ailleurs dans le monde arabe ?

Oui selon « la politique de la périphérie » préconisée par le président David Ben Gourion, des contacts très étroits furent établis surtout avec le roi Hussein de Jordanie, avec l’Irak de Qassem, ainsi qu’une alliance spéciale (Kalil) entre Israël, l’Iran et la Turquie, et une autre alliance entre Israël, l’Éthiopie et le Soudan. Sans compter les relations avec les pays d’Afrique occidentale.

Vous êtes arrivé à reconstituer les relations secrètes entre le Maroc et Israël en les reconstruisant. Comment y êtes-vous parvenu ?

À l’aide de documents d’archives publiques et privées ainsi que des témoignages de diplomates et d’anciens agents du Mossad…

Y a-t-il eu des éléments que vous avez vous même refusé de rendre publics

Je compte tout publier petit à petit, y compris des révélations sur le sort de Mehdi Ben Barka, ceux qui l’ont tué, ceux qui l’ont enlevé, et l’endroit de sa dépouille …

M.A.

(*) Contactée par nos soins Agnès Bensimon, auteur de « Hassan II et les juifs», nous dira que : «c’est parce que les services secrets israéliens ont fourni des renseignements très précis quant à un complot visant à tuer le prince héritier en février 1960 que les relations entre le Maroc et Israël ont débuté.

Cependant, il faut attendre la période des accords d’Oslo mais l’aspect officiel reste limité. Aujourd’hui il y a une représentation israélienne diplomatique à Rabat.

Je ne crois pas qu’il y ait un représentant du Maroc en Israël comme il y a un représentant de l’Égypte, à travers cette relation le Maroc gagnait dans le domaine du renseignement … »

Je ne crois pas qu’il y ait un représentant du Maroc en Israël comme il y a un représentant de l’Égypte, à travers cette relation le Maroc gagnait dans le domaine du renseignement … ».

Le Courrier d’Algérie, 14 sept 2009

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