Maroc : Mokadem, l’oeil et l’oreille du Makhzen

Quand le dissident marocain Ahmed Benseddik a eu son accident cérébral, la première personne, à part ses amis, à se pointer devant son domicile a été le mokadem de quartier.

Les amis de Benseddik sont formels. Ils n’ont pas prévenu le mokadem, et s’il avait été question de prévenir les autorités, ils seraient montés plus haut dans la hiérarchie.

Mais alors comment le mokadem a été prévenu aussi vite ?

Tous les Marocains, du nord au sud, et de l’ouest à l’est, savent que le mokadem, un fonctionnaire subalterne du ministère de l’intérieur, est tenu informé par tout ce qui se passe dans son quartier. Pour cela, il compte sur un réseau d’informateurs incroyablement bien fourni. Ces informateurs sont en fait ces voisins, aimables et courtois qu’on croise à la porte de l’immeuble, ce gardien de voitures toujours prêt à garer votre véhicule, ce cireur insistant ou ce coiffeur bavard, quand il ne s’agit pas de ce garçon de café si serviable.

C’est que le Maroc est l’un des rares pays au monde, à l’instar des dernières dictatures communistes, où existe encore un chef de quartier. Ailleurs, ils ont d’autres noms, chez nous on l’appelle le mokadem.

Leur mission, comme celle de leurs homologues des pays totalitaires, est de contrôler les habitants de leur circonscription et d’informer sur le champ et souvent verbalement leur patron, le caïd, de tout ce qui se trame dans le quartier. Naissances, décès, habitudes notables de tel, « déviation », sexuelle ou politique, de tel autre, fréquentations de M. X, et manigances de Mme Y. Même la situation financière de ses administrés est connue par le mokadem.

Celui-ci commence son travail matinal par faire le tour dans son quartier. Après, il s’installe dans son bureau pour le travail proprement administratif. Ce qui ne l’empêche pas de refaire un petit tour dans son quartier. On ne sait jamais.

Les dissidents sont particulièrement surveillés par le mokadem. Et là, ce pauvre fonctionnaire travaille pour plusieurs patrons. Premièrement, pour son chef direct, le caïd. Mais il informe aussi les Renseignements généraux (RG) et la DST de tout mouvement considéré comme suspect. Un résident de sa circonscription qui se laisse pousser la barbe devient un suspect en puissance, un habitant qui reçoit un étranger devrait passer à la mokataâ pour s’expliquer.

Un exemple que Demain peut prouver avec des vidéos et des enregistrements, quasiment tous les voisins du journaliste Ali Lmrabet dans la vieille médina de Tétouan ont le portable de deux mokadems (deux et pas un seul puisque le journaliste habite à la limite de deux quartiers) à appeler d’urgence à la moindre alerte.

Ces mokadems se plaignent souvent. Pour ce cas précis, ils doivent travailler même pendant leur week-end.

Certains des voisins du journaliste ont même reçu un appareil pour photographier et filmer discrètement les faits et gestes du journaliste… qui les a à son tour filmés et recueillis leurs précieux témoignages.

A tout ce beau monde, en échange de leur collaboration, le caïd, les RG et la DST promettent souvent de régler leurs petits litiges avec l’administration, la police ou la justice. Rares sont ceux qui obtiennent réellement satisfaction.

Mais, il ne faut pas qu’ils perdent espoir.

Demain

Source : AlgérieDZ.com, 4 nov 2011

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