Opération Barkhane – Comment éviter l’enlisement des forces françaises au Sahel ? (rapport confidentiel)

EM GT International/ES Paris, 19 octobre 2016

Note 15 (statut : confidentiel)

Objet : Opération Barkhane – Comment éviter l’enlisement des forces françaises au Sahel ?

1- Objectifs de l’opération Barkhane

Lancée le 1er août 2014, l’opération Barkhane1 a succédé à l’opération Serval, lancée au Mali le 13 janvier 2013. L’objectif de l’opération Barkhane est de lutter contre les groupes terroristes djihadistes dans la région du Sahel, en soutenant l’action des Etats du « G5 Sahel » (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina-Faso), organisation régionale créée en 2014. Après la reprise des villes du Nord-Mali aux groupes terroristes (AQMI, MUJAO, Ansar Eddine), en 2013, en grande partie grâce à l’opération Serval, l’opération Barkhane étend le dispositif militaire français au niveau de la « bande sahélo-saharienne » afin d’empêcher la reconstitution de zones de refuges des terroristes dans la région.

2- Activités de l’opération Barkhane

Les forces françaises de l’opération Barkhane mènent trois types d’action :

a- Des opérations contre-terroristes au Sahel de manière autonome (forces spéciales), en accord avec les autorités des Etats du G5 Sahel ;
b- Un soutien aux armées des Etats du « G5 Sahel » pour lutter contre la menace terroriste : appui à la planification d’opérations militaires transfrontalières, fourniture de renseignement, appui aérien aux armées du G5 Sahel ;
c- Un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies pour soutenir les Casques bleus de la MINUSMA au Mali, en cas de menace grave.

3- Moyens de l’opération Barkhane

Moyens humains : 3 500 militaires, commandés par un général de division depuis N’Djamena, où se trouve l’Etat-Major de l’opération. Barkhane s’appuie sur une petite dizaine de sites (cf. carte jointe), principalement au Mali (Gao, Tessalit), Niger (Niamey, Madama) et Tchad (N’Djamena, Faya-Largeau, Abéché) ;

Equipement : Barkhane dispose d’une vingtaine d’hélicoptères, 200 véhicules de logistique, 200 véhicules blindés, 6 avions de chasse, 5 drones et une dizaine d’avions de transport.

4- L’opération Barkhane a été jusqu’à présent un succès dans la lutte anti-terroriste

Alors que les groupes terroristes avaient la capacité de contrôler l’ensemble du Mali en 2012, l’action de Serval puis de Barkhane a permis qu’ils ne menacent plus la viabilité des Etats du Sahel. Les forces françaises ont empêché la constitution d’un « califat » ou d’un territoire djihadiste de grande envergure au Sahel. Depuis sa création, Barkhane, seule ou conjointement avec les armées du G5 Sahel, a mené 221 opérations contre-terroristes, mis hors de combat ou remis aux autorités des autorités des Etats du Sahel 200 terroristes et saisi ou détruit 16 tonnes d’armes. En contribuant à sécuriser une région du monde proche de l’Europe, Barkhane contribue à sécuriser le territoire français.

La méthodologie des forces françaises intéresse nos partenaires britanniques et américains, les Etats-Unis ayant eux-mêmes tenté à partir du début des années 2000 de fédérer les Etats de la région en matière de contre-terrorisme, sans réel succès. Barkhane, à l’inverse, a suscité et appuyé une coopération inédite en matière de sécurité entre les Etats du G5 Sahel qui mènent depuis 2014 des opérations militaires transfrontalières conjointes. Ces opérations incluent un droit de poursuite, grâce auquel les forces d’un Etat peuvent intervenir dans le territoire d’un Etat voisin, conjointement avec ses forces.

5- L’opération Barkhane représente un coût élevé pour la France

L’opération Barkhane a un coût élevé, que la France supporte seule ou presque.

5.1- Coût politique

La présence durable de Barkhane dans les Etats du Sahel contredit les engagements pris par les présidents Sarkozy et Hollande de réduire la présence militaire française en Afrique – sans équivalent parmi les pays occidentaux – et de fermer la plupart des bases militaires françaises sur le continent2. A l’inverse, cette présence créé des liens très forts avec ces Etats, qui contraignent parfois la France à fermer les yeux sur la situation des droits de l’Homme et de la démocratie dans certains de ces Etats, en particulier le Tchad.

5.2- Coût financier

Estimé à 600 M€ par an, le coût de l’opération Barkhane représente plus de 50% du budget annuel de l’ensemble des opérations militaires extérieures (OPEX).

La France a été à l’initiative de la création au Mali de la MINUSMA, opération de maintien de la paix des Nations Unies de 11 000 soldats, ainsi que de missions de l’Union européenne pour former les forces de sécurité au Mali et au Niger. Pour autant, la France supporte sur son budget national l’essentiel de la lutte contre le terrorisme djihadiste au Sahel, région qui ne représente pas un enjeu de sécurité de premier plan pour les Etats-Unis et qu’ils ont de facto « sous-traité » à la France. L’opération Barkhane se répartit au Sahel et au Sahara sur un espace géographique plus vaste que l’Europe de Lisbonne à Moscou dans des conditions climatiques extrêmes (températures désertiques, tempêtes de sable, élongations logistiques), qui éprouvent les soldats et les matériels.

6- La France menacée d’enlisement au Sahel

Au début de l’opération Serval au Mali en 2013, le président Hollande avait fixé pour objectif stratégique de frapper les groupes terroristes fort et vite afin que les forces françaises puissent se retirer rapidement. Il s’agissait d’éviter un enlisement durable tel que les forces internationales l’avaient connu en Afghanistan et en Irak dans les années 2000. Au début de l’opération Barkhane en 2014, l’Etat-Major des armées françaises établissait des chronogrammes avec des échéances de retrait des forces françaises. Depuis, il n’existe plus d’échéancier ni de conditions d’un éventuel retrait. Au contraire, le Premier Ministre Valls, devant l’Assemblée nationale le 19 octobre 2016, a affirmé que la France resterait engagée au Mali « tant que la menace djihadiste continuera de peser sur le destin de ce pays et de cette région ».

En dépit de conditions très difficiles, l’armée française n’a pas intérêt à se retirer du Sahel. Elle y trouve un terrain qui lui permet de développer et maintenir ses capacités opérationnelles ainsi qu’une source de prestige par rapport à ses homologues occidentales. La présence française au Sahel procure en outre des avantages matériels aux militaires français : soldes relevées, congés exceptionnels, abaissement de l’âge de la retraite.

7- Recommandations

7.1- Fixer des critères d’évaluation ainsi qu’un horizon de retrait pour Barkhane

Il n’existe aucune stratégie de sortie de l’opération Barkhane. La France reproduit ici ce qu’elle a reproché aux Etats-Unis en Afghanistan et en Irak. Le terrorisme djihadiste se nourrissant de la grande pauvreté et de la désertification au Sahel, l’absence de critères pour évaluer le rapport coût/avantage de l’opération Barkhane conduit à une présence militaire de durée indéfinie, l’objectif de « 0 djihadiste » y étant inatteignable.
Il est urgent par conséquent d’établir pour l’opération Barkhane :

– des critères pour évaluer son bilan coût/avantage, qui doivent en particulier reposer sur la capacité des Etats du Sahel à assurer eux-mêmes un niveau de sécurité raisonnable face à la menace terroriste ;

– un horizon de retrait possible, qui doit être communiqué en amont aux pays du Sahel ainsi qu’à nos partenaires occidentaux, afin de les inciter à s’impliquer davantage.

7.2- Fixer un cadre réellement démocratique pour employer les forces françaises

L’opération Barkhane illustre le fait que la France est l’une des très rares démocraties occidentales dans laquelle le pouvoir exécutif peut engager un volume illimité de forces de manière totalement autonome. Dans ce système concentré à l’extrême dans les mains du Président de la République, l’Etat-Major des Armées et l’Etat-Major particulier du Président jouissent d’une très forte influence. Il en résulte que les objectifs politiques à moyen et long terme des opérations militaires françaises sont souvent mal définis.

La révision constitutionnelle de 2008 impose un débat parlementaire 60 jours maximum après le lancement d’une intervention militaire et donne au Parlement le droit d’autoriser ou non la prolongation de l’opération au-delà de quatre mois. En outre, comme le relève le Sénat dans un rapport de juillet 2016, il s’agit d’une « clause d’éternité », dans la mesure où le gouvernement n’a plus à solliciter d’autorisation du Parlement au-delà de quatre mois.

Pour s’assurer du bon emploi de nos forces à l’avenir, en tirant les leçons de l’opération Barkhane, un débat parlementaire pourrait se tenir avant le lancement d’une intervention militaire, sans nécessairement donner un droit a priori au Parlement de s’y opposer. Le Parlement doit pouvoir interroger régulièrement le gouvernement sur la stratégie politique d’ensemble de Barkhane, comme de toute intervention militaire. Cela permettrait d’affiner les objectifs, les moyens, l’horizon temporel ainsi que les possibles partenaires étrangers des éventuelles opérations militaires extérieures. Le nouveau Président de la République devrait en prendre l’engagement auprès du Parlement avant d’envisager éventuellement une nouvelle révision de la Constitution. (ES)./.

Source: Wikileaks

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