Lettre de Tunisie : A mes amis Algériens

Très loin de moi la prétention de vous avertir ou de vous conseiller en quoi que ce soit. Ce qui se passe en Algérie en ce moment est la marque d’une citoyenneté exceptionnelle dont on ne peut être qu’admiratif.

Mon intention, à travers ces mots, est juste de vous communiquer quelques faits qui se sont passés depuis la révolution tunisienne (2011) et dont je fus le témoin direct. Ces faits méritent d’être connus par les Algériens qui veulent que leur mouvement réussisse sans heurts ni crises et que l’Algérie reste souveraine.

D’abord, la théorie du complot concernant les mouvements populaires qui ont lieu depuis quelques années dans nos pays sont de la pure chimère. Les complots ne sont que dans les cerveaux inertes.
Ces mouvements populaires sont spontanés, légitimes, profonds et salutaires, sauf qu’ils sont rarement suivis d’une gestion intelligente, principalement à cause d’une effervescence difficile à canaliser. C’est sur ce point que se basent les islamistes pour tenter de s’imposer.

La promptitude avec laquelle les islamistes ont réagi après le 14 janvier 2011 en Tunisie et ailleurs n’a rien d’un complot, il s’agit de récupération d’un mouvement civil. Toutes les révolutions du monde sont récupérées par les entités les plus organisées. Les islamistes ont vu là une grande occasion pour s’imposer et, pour ce faire, ils usent de leur esprit de secte et profitent des immenses aides de leurs alliées orientaux.
Esprit de secte et aides financières sont les deux éléments dont les progressistes sont dépourvus. Dans ces conditions, comment peuvent-ils agir pour que leur mouvement salvateur ne soit pas récupéré pour des intérêts autres que ceux de l’Algérie?

Le premier péril à éviter est de dissoudre l’ancien parti dominant, même si ce dernier traîne d’énormes casseroles.

Pourquoi? Parce que ce parti n’est plus idéologique. Depuis des décennies, il est devenu une organisation de masse que le pouvoir utilise pour asseoir son système, ce qui veut dire qu’il s’agit d’une organisation d’exécutants dont il faut simplement changer la superstructure ou « l’ADN ».

Plus pratiquement, ce parti, qui est une organisation très utile, doit demeurer, à condition de lui changer son mode de fonctionnement, de communication et d’action pour en faire la courroie de transmission de nouvelles valeurs comme celles de promotion et défense de l’honnêteté, de la propreté, démocratie, liberté, efficacité, etc… en fait tout ce que les Algériens demandent aujourd’hui.

Pourquoi maintenir le parti? Parce qu’en face, les islamistes disposent d’une machine parfaitement huilée et autrement dangereuse car soutenue par l’étranger, menée par un esprit de secte et destinée à d’autres intérêts que ceux du pays.

Le changement d’identité du parti au pouvoir n’est pas chose facile, mais ce n’est pas non plus impossible car ce parti dispose d’un énorme réseau d’intérêts qui risque d’être vite récupéré par les islamistes, comme ils l’ont fait en Tunisie. Or, la récupération du parti au pouvoir est quelque chose de très dangereux car ce parti dispose de tous les moyens nécessaires pour agir, qu’ils soient médiatiques, administratifs ou policiers.

Il ne faut pas oublier que le parti au pouvoir n’est pas exclusivement formé de profiteurs, il dispose d’un nombre important de militants sincères qui ont eux-mêmes souffert du système et qui n’attendent que la bonne occasion pour travailler de façon saine et efficace. C’est à eux d’agir pour nettoyer le parti des mafias qui le parasitent et en faire l’outil de l’Algérie de demain, dans le respect des valeurs portées par la révolution.

En définitive la question est simple : les progressistes ont-il le choix? Peuvent-ils céder aux islamistes (qui vont être les premiers à exiger la dissolution du parti) un pareil outil?

Le second péril est celui de la division

Le principal problème est dans l’unicité du mouvement islamiste opposée à la multiplicité des mouvements progressistes qui, même s’ils sont majoritaires, tombent dans le piège de la division. Et comme ils sont divisés, il exigent, pour les élections, une représentation proportionnelle, ce qui fait parfaitement le jeu des islamistes qui sont les premiers profiteurs de la proportionnalité.

Pour arriver à imposer la proportionnalité, les islamistes poussent de toutes leurs forces la société civile à la division, et malheureusement, la société civile reste très sensible aux égos. Or, c’est justement sur ces égos que misent les islamistes. J’ai été moi-même l’un de ces nouveaux acteurs de la société civile en 2011, j’ai participé à la fondation d’un parti et observé la tactique des islamistes pour gagner le pouvoir.

D’abord, ils vont, très vite, s’assurer des alliances secrètes avec d’anciens opposants qui, par goût du pouvoir ou par sensibilité conservatrice, vont céder à la tentation. Ces anciens opposants jouissent d’une certaine légitimité mais surtout d’une identité progressiste qui va pousser bien des citoyens à les suivre. Ces opposants croient souvent qu’ils vont maîtriser le jeu et sortir gagnants, mais ils se trompent car ils ne disposent pas d’une puissance suffisante et finissent par servir de serpillère aux mouvements islamistes. Ils auront, d’ailleurs, la destinée des serpillères.

Outre ces alliances secrètes, les islamistes vont pousser à la division en caressant les petits partis dans le sens du poil en leur faisant parvenir des messages du genre « vous êtes les vrais forces vives de ce pays et on vous craint », ce qui va faire très plaisir à des micros formations qui vont se prendre pour des partis importants et ajouter à la division.
Cette technique est essentielle pour les islamistes car 1, ils s’assurent de la faiblesse de leurs alliés « progressistes » et 2, ils s’assurent ainsi d’avoir des défenseurs du scrutin proportionnel que les petits partis vont exiger avec force.

Voilà en gros, les premiers aspects du danger islamiste dans nos républiques débarrassées de la dictature.

Il faut garder à l’esprit que les islamistes sont par essence des non-patriotes qui sont de simples commerçants de religion. Ils n’ont aucune espèce de compétence pour diriger un pays et ils n’usent du pouvoir de la religion que pour soumettre les peuples. Pour y arriver, ils sont prêts à toutes les compromissions et à toutes les arnaques et forfaits possibles, comme nous l’avons vu lors de la guerre de Syrie.

Nos républiques sont, malgré leurs immenses défauts, bien plus respectueuses des citoyens. Si vous voulez en être persuadés, regardez l’état des Droits des peuples en Arabie Saoudite ou dans les pétromonarchies qui justement financent ces mouvements islamistes.

Notre destinée est de réussir à sortir nos pays de leur sous-développement matériel et moral pour en faire des pays où il fait bon vivre.

Pour cela, il faut être très vigilant, il faut user de patriotisme, d’intelligence et de bon sens et ne jamais céder à la passion ou à la facilité.

Abdelaziz Belkhodja

Le Provincial, 20 mars 2019

Tags : Algérie, Présidentielles 2019, Bouteflika, Transition,