Guéguerre entre Al-Adl Wal Ihsane et Jeune Afrique

par Ali Lmrabet

L’hebdomadaire français  » Jeune Afrique  » a publié par la plume du journaliste marocain Fahd El-Iraqi un article jugé  » diffamatoire  » par l’association  » Al Adl Wal Ihsane  » (Justice et spiritualité).

Comme la loi française les y autorise, les dirigeants de ce mouvement islamiste ont envoyé au rédacteur en chef de cette feuille, François Soudan, un droit de réponse que ce dernier, comme c’est la pratique habituelle dans la famille Ben Yahmed, propriétaire de  » Jeune Afrique « , n’a pas jugé bon de publier au même endroit que l’article incriminé.

Que dit cet article ? Premièrement le titre,  » Justice et malfaisance « , au lieu de  » Justice et bienfaisance  » (l’ancienne appellation du mouvement) ; une expression qui ne laisse aucun doute sur l’intention manifeste de  » Jeune Afrique  » de diffamer. Puis, une grave accusation :  » selon des sources sécuritaires 200 membres de la mouvance seraient impliqués dans des affaires de terrorisme « , à l’intérieur du Maroc comme à l’étranger, et que certains d’entre eux ont été enrôlés dans des cellules terroristes de  » Daech « , dixit Fahd El-Iraqi et  » Jeune Afrique « . Enfin, le mouvement fondé par le cheikh Abdessalam Yassine est accusé de vouloir créer, à l’intérieur comme à l’extérieur du royaume, un  » État dans l’État « .

En premier lieu, c’est étonnant que les dirigeants d' »Al Adl Wal Ihsane » daignent répondre à cet hebdomadaire que les Africains, qui sont les principaux consommateurs de ses articles à la commande, ont surnommé depuis longtemps  » Jeune-à-fric  » pour le nombre effroyable de polémiques et d’accusations de corruption de toutes sortes qui frappent Béchir ben Yahmed, sa femme Danielle, son fils Marwane, et son fidèle et peu loyal second, François Soudan. La dernière étant la dénonciation d’un groupe de journalistes du groupe  » Jeune Afrique  » de  » censures répétées concernant la Côte d’Ivoire  » dans l’hebdomadaire.

Pas encore convaincus ? Lisez l’enquête publiée par  » Le Canard enchaîné  » sur  » les Comptes de Jeune Afrique « , où il est question d’argent distribué par des dictateurs Africains à la maison ben Yahmed. Relisez aussi la panoplie d’articles récents de médias français,  » Le Monde « ,  » L’Express « ,  » Mediapart  » qui mettent à nu cet hebdomadaire spécialisé dans les publireportages et la courbette devant les dictateurs maghrébins et africains, et qui a construit la richesse de ses propriétaires sur le dos des Africains. Enfin, si vous avez le temps, savourez le livre du journaliste spécialiste de l’Afrique Vincent Hugeux,  » Les Sorciers Blancs, Enquête sur les faux amis français de l’Afrique  » (Fayard, 2007), un ouvrage où il relate comment le rédacteur en chef de  » Jeune Afrique  » François Soudan est devenu propriétaire de licences de pêche grâce à des cadeaux du dictateur mauritanien Ould Taya. En échange de quoi ? On se le demande.

Voilà pour la réputation de cette feuille. Maintenant, allons au fond de l’accusation.

Premier point.  » 200 membres de la mouvance [d’Al Adl Wal Ihsane] seraient impliqués dans des affaires de terrorisme « , et certains d’entre eux auraient rejoint Daech ?

C’est qui la source de cette grave accusation ? Des  » sources sécuritaires  » marocaines, répond Fahd El-Iraqi.

Ah bon… Depuis quand l’État marocain communique avec une presse qu’il tient par la laisse ? Généralement, ces  » sources sécuritaires « , la DST et la DGED, ne communiquent pas, elles dictent aux journalistes ce qu’ils doivent écrire ou pas écrire. Quand elles ne rédigent pas elles-mêmes des papiers pour les remettre ensuite aux médias pour publication. On en a eu la preuve en 2014 grâce aux révélations documentées, et jamais démenties par l’Etat marocain, du hacker Chris Coleman sur les complicités des journalistes, marocains et étrangers, avec les services de renseignement marocains.

Deuxième point. Les accusations au sujet de la propension internationaliste d’  » Al Adl Wal Ihsane « . Sauf que ces médisances sont formulées, quasiment avec les mêmes termes et à intervalles réguliers depuis plusieurs années, par une armée de scribes qui opèrent sous de faux noms, dont le plus connu est un certain  » Farid Mnebhi « . « Mnebhi » ? Après un procès intenté en France, et gagné !, par l’ex-capitaine Mustapha Adib, on a appris que ce « Mnebhi » s’appelle en réalité Farid Keddara, qu’il réside à Bordeaux et que c’est un agent marocain de la … DGED.

Maintenant, allons au fond de la question.  » Al Adl Wal Ihsane  » est-il un mouvement terroriste ? Des militants de cette mouvance ont-ils rejoint Daech ?

Ce que l’on sait jusqu’à aujourd’hui c’est que les services secrets occidentaux, qui sont très attentifs à ce qui se passe dans les pays musulmans, n’ont jamais détecté une quelconque collusion entre  » Al Adl  » et un quelconque mouvement jihadiste. Même pas un petit transvasement de militants de cette mouvance dans les milieux jihadistes internationaux.

Même chose pour les pages Web spécialisées en jihadisme, comme  » SITE  » par exemple, qui scrutent à la loupe les allers-venues et les mouvements des groupes islamistes. Aucune nouvelle non plus de cette supposée collusion dans les grands médias occidentaux qui, il est vrai, sont protégés par leur charte déontologique contre la désinformation sonnante et trébuchante des services de renseignement marocains.

Un exemple de cette propagande intéressée : Il y a quelques années, les services secrets marocains ont porté les mêmes accusations, ceux d’El-Iraqi, de Mnebhi-Keddara et d’autres, contre des Marocains résidents en Espagne soupçonnés d’être des terroristes en puissance. Après enquête, le CNI (Centre national d’intelligence, espagnol) est arrivé à la conclusion que ses homologues marocains avaient essayé de le manipuler pour régler leurs comptes avec cette mouvance islamiste dont les connaisseurs, à l’intérieur et à l’extérieur du Maroc, considèrent comme avéré son pacifisme.

Enfin, comment croire ces  » sources sécuritaires  » qui, dans un passé récent, ont fait publier par le quotidien marocain  » Assabah « , sans aucune preuve bien entendu, que le Hirak du Rif était financé par le Front Polisario et instrumentalisé par Daech. Des accusations tombés à l’eau depuis lors.

Donc, qui aujourd’hui, ici et ailleurs, croit encore les manipulations intéressées des  » sources sécuritaires  » marocaines et celles de leurs affidés au Maroc et à l’étranger ?

Pour terminer, ce qui attriste dans cette affaire c’est que ces sempiternelles et fallacieuses assertions ont été avancées par Fahd El-Iraqi, un ancien du  » Journal « . A moins que l’article original n’ait été réécrit par la bande à Ben Yahmed et Soudan, comme c’est la coutume à  » Jeune-à-fric « , El-Iraqi n’en sortira pas grandi et risque de voir écorné son honnêteté intellectuelle et professionnelle. Et c’est dommage.

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