Algérie : La légendaire séparation des pouvoirs à l'épreuve de l'exercice du pouvoir

Une grave crise de confiance dans la politique a saisi toutes les grandes démocraties qui se posent comme pour la première fois, la question de la séparation des pouvoirs.

Leur modèle politique qui fonde partout, plein d’aspiration est-il en cours d’épuisement au vu des longs épisodes de confusion des pouvoirs qui se produisent, signe d’un sérieux « déficit démocratique ».

Théorisée par les penseurs phares du XVII ème siècle, la séparation des pouvoirs fait l’objet d’une présentation mirifique du système politique qui a triomphé sur les terres européennes non sans d’âpres et de très longues luttes. 

Ce système politique est dépeint comme une sorte de triumvirat de pouvoirs bien définis, autonomes et concurrentiels dont les forces gravitent en équilibre dans le champ volatile de la liberté.

Comme dans un cercle vertueux, les excès intrinsèques à chaque pouvoir seraient annihilés automatiquement grâce à la vitalité du pouvoir qui lui est antinomique formant ainsi l’indispensable contre-pouvoir, pour le plus grand bien de la démocratie.

Cette présentation attractive mais rationnée du système politique suffit à la curiosité des jeunes ingénus auxquels on inculque les primo rudiments de la culture politique de papa.

A l’âge adulte, beaucoup auront eu l’occasion heureuse ou malencontreuse de faire quelques nécessaires compléments à même de dévoiler la complexité d’une horlogerie pas si fluide que le vante la réclame.

Depuis les affres de la crise financière de 2007, les mouvements de contestation se multiplient et font de plus en plus les gros titres de l’actualité en France.

De tels mouvements surprenants déjà par leur ampleur et leur fréquence, sont surtout hors normes. Ils échappent, en effet à l’habituel mode de contestation, comme celui, bien rôdé des forces syndicales, une espèce en voie de disparition ; comme ils transgressent le code policé des corporations politiques qui se mobilisent au tempo traditionnel.

Ces mouvements sui generis et sans étiquette politique, déballent à tout-va et sans filtre aucun, des revendications qui échappent à l’entendement de la galerie des politiciens au point qu’une dérive liberticide est venue obscurcir encore plus, un parlement français qui s’est radicalisé à l’occasion de la loi anti casseurs. Cette loi draconienne constitue un trophée pour les tenants du tout sécuritaire qui ont trouvé leurs aises dans le ventre mou du mouvement « en même temps ». Une liberté fondamentale consubstantielle à ce modèle politique, vient d’être rétrogradée.

Or, la plus pressante revendication de ces mouvements, est celle qui a trait à un aggiornamento de la représentation nationale, afin de permettre à toutes les sensibilités politiques de peser sur les questions de politique publique et fiscale qu’un Pouvoir Exécutif aux boulimiques excroissances, tient sous le boisseau.

Le supposé contre-pouvoir a cédé. 

Dans sa version actuelle, le parlement s’aligne. Il se reproduit dans la passivité, créant un désenchantement des jeunes pour la version jugée, éculée de la politique et un rejet épidermique, de l’entité dans laquelle, des franges de la population ne se reconnaissent plus.

Après la séquence du vote sanction, la séquence de l’abstention, puis celle des mouvements de protestation…Ira-t-on jusqu’à la désobéissance civile et à l’insurrection ouverte ?

La machine est grippée. Dans le modèle français, l’effritement de la séparation des Pouvoirs au profit de l’Exécutif, nuit au peuple dont la souveraineté est en principe, déléguée à un parlement par définition, représentatif.

Un parlement d’autant plus faible que la majorité éclair qui le compose a surgi d’un vote recours (le vote contre la peur) et suite à une élévation du taux d’abstention ; une abstention qualifiée d’active, en ce sens qu’elle refuse une offre politique qu’elle trouve lacunaire.

Tel que pratiqué, le multipartisme de conquête du pouvoir a pour épilogue une alternance automatique quasi programmée au profit de deux partis, deux vieux poids lourds, favorisés par les règles du jeu électoral et qui font l’alpha et l’Omega du spectre politique. Durant des législatures qui se succèdent à l’ennui, dans un changement dans la continuité, le pouvoir législatif qui échoit à la majorité à ADN compatible, sous-traite pour un Pouvoir Exécutif qui se réinvente un exercice quasi exclusif du Pouvoir.

La marque du conservatisme qui caractérise ce système, transparait derrière la stricte régularité des rendez-vous électoraux. Et, ce conservatisme a eu pour effet la polarisation de la vie politique, plus accentuée à droite depuis les exigences de l’UE et, le sacre renouvelé du Président monarque.

Ce dernier a pourtant fait ses premières foulées dans le camp socialiste avant de prendre ses distances pour voler de ses propres ailes. Il faut dire que le parti déserté, en perte d’idéologie, a fait dans le « transformisme ». Il a fini par s’atrophier après avoir tenté de jouer la gauche plurielle pour prendre finalement, un virage raté vers la social-démocratie.

Placé au-dessus de la mêlée, le Président désincarné est juché au sommet de la pyramide pour incarner un Exécutif voulu fort à l’origine de la cinquième république, mais au prix d’un affaiblissement inquiétant de l’assemblée nationale, devenue de par la règle de la majorité présidentielle, la caisse de résonance de l’Exécutif.

Dans ce cas de figure, le système démocratique respire difficilement surtout lorsque l’Etat est hyper interventionniste.

Après des mois de chicanes politiciennes au sujet des appels de la plèbe jaune, à une représentation populaire permanente, le parlement de type bicaméral, a fini par envoyer à l’Exécutif de sérieux signaux d’alerte , via sa seconde chambre. Un sénat, pourtant dominé par la droite de toujours et qui a réagit d’autant plus sèchement que le pouvoir judiciaire tarde à intervenir dans une affaire scandale tentaculaire entachant l’Exécutif.

Depuis la crise de confiance qui touche en particulier, les partis politiques traditionnels qui ont « légalement » ravi le pouvoir à tour de rôle, le système encourt l’impasse, car il ne se dégage plus des urnes toute la légitimité nécessaire pour piloter le destin de toute une nation.

D’une part, des partis catalogués extrémistes absorbent les mécontentements populaires et parviennent ainsi à rogner sur un projet républicain que chacun peint de ses couleurs, d’autre part, de larges pans de la société désencartée ou non encartée, échouent, tels des naufragés, aux portes de la république qu’ils veulent autre.

La séparation précaire des pouvoirs n’est-elle pas redevenue qu’une séparation de fonctions techniques d’un pouvoir un et indivisible, comme l’a objectivement décrite Montesquieu ?

Certes, le retour de la méfiance et de l’unilatéralisme dans les relations internationales, s’accompagnent comme jamais du renforcement des exécutifs et d’un affaiblissement corrélatif des législatifs.

Mais, la révolution numérique a déjà déplacé les arènes du pouvoir, loin des fortifications qui protègent les traditionnels puissants ; et dans ces joutes aux multiples acteurs, elle semble combler un « déficit d’expression démocratique ».

Cela suffira-t-il pour provoquer de nouveaux états généraux et pour implémenter une nouvelle conception de la séparation des pouvoirs ?

Le Jeune Indépendant

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