L’Algérie au coeur de l’histoire racontée par Patrick Poivre d’Arvor dans son livre « La vengeance du loup »

« La vengeance du loup » de Patrick Poivre d’Arvor

Je vous parle aujourd’hui d’un roman de la rentrée de janvier que j’ai eu la chance de lire grâce à NetGalley et aux éditions Grasset qui ont bien voulu accéder à ma demande:

Résumé de l’éditeur:

Charles s’ennuie ferme sur les bancs de l’école. Mais au fond de lui, le jeune garçon sent que sa vie est ailleurs. Il brûle d’un appétit vorace et ses rêves sont hantés par les plus hautes destinées. A douze ans, Charles perd sa mère. Elle était tout pour lui : sa confidente, son inspiratrice, son idole. Sur son lit de mort, elle lui révèle qu’il n’est pas le fils de l’homme qu’il croyait être son père. Son père biologique se nomme Jean-Baptiste d’Orgel, un acteur connu du grand public. Le monde de Charles s’écroule, il ne lui reste que son ambition…

Adolescent, Charles confronte son géniteur : Pourquoi les a-t-il abandonnés, lui et sa mère, sans jamais chercher à les revoir ? Et voici qu’une autre histoire de fils orphelin surgit, qui plonge ses racines dans les années 40 en Algérie. Guillaume, le père de Jean-Baptiste, y avait vécu une grande histoire d’amour clandestine avec une jeune algérienne, Amina, qui sera violée par trois fils de colons. Mais faire appel à un milicien factieux pour l’aider à punir les violeurs, quand on est fils du gouverneur général, ne peut que conduire à des tragédies…

En aidant son jeune loup à accéder aux plus hautes marches du pouvoir, le vieux loup va venger sa lignée maudite : attaché de cabinet, député, ministre, le jeune ambitieux monte dans l’ombre d’un certain Victor Exbrayat, qu’il finira par trahir et par « tuer » pour prendre sa place.

Des années de l’Algérie française aux palais nationaux, La Vengeance du Loup offre une grande fresque qui nous fait pénétrer dans les arcanes du monde politico-médiatique français.

Ce que j’en pense

Charles à douze ans lorsque sa mère, mourante, lui apprend que son père n’est en fait pas son père biologique. Cela ne l’étonne guère, vue l’absence de chaleur qui règne dans leurs relations, ce qui n’a rien d’étonnant car tous les deux sont des handicapés des émotions. Par contre, il avait une relation très forte avec sa mère, complice, presque fusionnelle.

Il décide de prendre contact avec Jean-Baptiste, son géniteur pour ses dix-huit ans. Leur rencontre se fait dans une brasserie, où il rêve d’entrer depuis longtemps.

Le contact passe bien entre eux, il s’aperçoit que celui-ci n’a jamais perdu le contact, sait pratiquement tout de lui, de sa mère. Il va lui raconter son histoire, mais aussi celle de son propre père Guillaume.

A Alger, pendant la guerre, il tombe amoureux d’une jeune femme algérienne, Amina et tous les deux vont vivre une belle histoire d’amour, romantique à souhait. Mais cette histoire doit rester clandestine ; un jour Amina est victime d’un viol collectif, un drame pour la famille qui se considère comme salie (« Ils ne veulent pas porter plainte, ils ont trop honte. » ) et Guillaume n’aura de cesse de se venger.

Les abandons se répètent, dans cette famille, où l’on est plus ou moins orphelins sur plusieurs générations, où la paternité pose un problème.

Ce roman est aussi l’histoire d’une vengeance : Jean-Baptiste, acteur célèbre sur le déclin, fait partie des gens que le public met autant d’ardeur à dénigrer qu’ils en ont mis à la porter aux nues. Il va guider Charles dans son désir de devenir « président de la République », son vœu le plus cher depuis qu’il a huit ans !

Le moins que l’on puisse dire est que Charles est doué et va enchaîner Sciences-Po, loucher vers l’ENA, et se tourner vers Lettres-Sup, la voie choisie en son temps par Georges Pompidou, se choisir un mentor…

Patrick Poivre d’Arvor nous livre ici une étude savoureuse, approfondie, tout à la fois en finesse et sans complaisance, du monde politique, des médias.

On oscille entre Rastignac et Lucien de Rubempré, avec quelques œillades en direction de Bel-Ami.

Ce roman est bien construit, les relations père-fils abordées avec beaucoup de sensibilité et le style de l’auteur est vif, les mots s’enchaînent, sans excès rendant la lecture plutôt addictive.

Il y a très longtemps que je n’avais pas lu un livre de PPDA, cela remonte en fait aux « Enfants de l’aube » et « Lettres à l’absente »…

J’ai bien aimé ce roman, facile à lire et, comme je me suis laissée prendre au jeu, j’attends la suite car, ce n’est pas un secret, l’aventure n’est pas terminée.

Extraits :

Charles, qui se morfondait tant le jour durant, croyait en la rédemption par le crépuscule. Il y avait le paradis pour les âmes discrètes et le crépuscule pour celles qui trouvaient interminables ces journées de mortel ennui. Et s’il n’y avait eu que l’ennui…

Ils étaient tous les deux fautifs. L’adulte sans doute davantage que l’enfant mais c’est parce qu’il était handicapé de l’expression du sentiment, et cette pudeur, portée en bandoulière comme un attribut de dignité suprême, en permettait aucun échange.

Désormais bachelier, bien qu’encore mineur, il aurait aimé être traité en homme, ou même en adulte, mais son père, qui cultivait la misanthropie depuis le décès de sa femme, ne savait pas considérer les autres comme des êtres à part entière.

Le clan carburait à l’ambition. D’autres dans sa promotion pensaient déjà à la vie facile et au pantouflage dans le privé. La petite bande, elle, ne pouvait imaginer que la fonction publique et, sans trop le dire, la politique. Charles, de son côté laissait venir les choses en observant de loin les revirements de l’actualité électorale.

A ses yeux, il y avait quand même plus de noblesse à réfléchir qu’à agir, à baigner dans le monde des lettres plutôt que dans le marigot politique.

Et c’est ainsi qu’en un quart d’heure, il se rendît indispensable à son futur maître. Il connaissait l’âme parfois sombre de son Don Giovanni mais il savait aussi ce que le valet, Leporello, en avait tirer.

Un métier de chien la politique, mon petit Charles. Ça ne suffit pas de croire en soi, il faut croire en la nullité des autres, il faut espérer leur chute et, en attendant, aller chercher toutes les voix avec les dents.

Quand la balle atteint le pigeon d’argile qui explose en vol, les journalistes passent à autre chose, non pas qu’un chef de meute ait siffler la fin de la récréation mais simplement parce que les carnassiers ont besoin de renouveler la gibecière. Ainsi vont les modes, celles des chouchous et des têtes de turc.

Lu en janvier 2019

Source: Les livres de rêve

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