Maroc: Quand le festival Mawazine s’invite aux tribunaux américains

Comment la face sombre du festival Mawazine est arrivée aux tribunaux américains ?

Demainonline 13 mai 2011

Depuis quelques semaines, on parle beaucoup du festival de musique Mawazine et son organisateur l’association Maroc Cultures dont le président Mounir MAJIDI est le secrétaire particulier du Roi et gérant de sa fortune. De nombreuses voix parmi les intellectuels, la société civile et au sein du mouvement du 20 février ont participé le 23 avril à un sit in devant le parlement pour réclamer l’annulation de l’évènement, considérant que la culture ne doit pas être « salie » par l’un des symboles de l’abus de pouvoir, de la corruption et du mélange malsain entre politique et argent.

D’ailleurs, depuis le 20 février dernier, le slogan « MAJIDI DEGAGE » fait partie des mots d’ordre scandés par les citoyens lors des multiples manifestations à travers le pays car l’homme incarne le néo makhzen économique et financier, ce nouveau féodalisme qui contrôle une bonne partie de l’économie nationale, et a mis ses obligés à la tête de plusieurs institutions et ministères.

Un coup d’œil rapide au site du festival montre que la société JLEC est un sponsor Major (statut plus fort que celui de sponsor officiel comme Maroc Télécom et la CGI) http://www.festivalmawazine.ma/index.php. JLEC (Jorf Lasfar Energy Company) produit environ la moitié des besoins du Maroc en électricité et a un contrat de 30 ans avec son client unique l’ONE (Office National d’Electricité).

Depuis 2007, JLEC est propriété du groupe Emirati TAQA dont le président du conseil d’administration est le Cheikh Hamad Al Hurr AL SUWAIDI, un proche de l’émir Khalifa Bin Zayed. TAQA a été créée en 2005 pour réaliser des investissements internationaux dans le domaine de l’énergie et sa direction générale a été confiée à un expert Américain, Peter BARKER. Elle a connu une forte croissance et son chiffre d’affaires en 2010 était de 5.8 milliards de dollars. Cependant, cette évolution a été entachée de malentendus profonds et de divergences d’ordre éthique qui ont conduit le conseil d’administration à se séparer du DG de manière brusque en octobre 2009, alors que le même conseil avait en 2008 multiplié son salaire par quatre en récompense des bons résultats financiers.

En riposte, le DG a intenté à TAQA le 27 août 2010 un procès auprès d’un tribunal Américain (Etat du Michigan). La plainte déposée par ses avocats, disponible sur Internet, est un document de 30 pages qui parle de corruption, d’abus de pouvoir, de pratiques non transparentes que le DG prétend avoir voulu combattre. Voici le lien :http://www.scribd.com/doc/37884270/Peteker-Homek-Complaintr-Bar

Les pages 14, 15 et 16 listent les six griefs principaux dont le sixième concerne le Maroc : Mr BARKER raconte qu’en 2008 Mr AL SUWAIDI lui a demandé d’aller au Maroc en vue de conclure une transaction de vente d’actions à un « acheteur désigné » mais Mr BARKER a trouvé que cette opération n’était pas transparente et pouvait léser la société qu’il dirige. Il ajoute que Mr AL SUWAIDI l’a également informé que pour pouvoir opérer au Maroc convenablement il devait accepter de s’engager à sponsoriser pendant cinq années un festival de musique, à raison de 5 millions de dollars par an…

Voici le paragraphe en question :

Mr BARKER affirme qu’il a refusé d’exécuter les deux actions, ce qui a provoqué une grande colère de Mr AL SUWAIDI et d’autres responsables de TAQA.

Qui pourrait être cet « acheteur désigné » ?

Quel est ce festival de musique dont les managers se permettraient d’exiger ces montants auprès d’une personnalité aussi influente qu’AL SUWAIDI qui est aussi membre du comité exécutif de l’émirat d’ABOU DHABI, président du secteur financier, membre du conseil supérieur du pétrole, de l’office d’ABOU DHABI pour l’investissement, de l’établissement des communications, de la société d’investissements internationaux, de l’office de l’eau et l’électricité et d’autres organes.

JLEC ayant un seul produit et un seul client, n’a besoin ni de publicité ni de marketing grand public. Elle ne peut tirer aucun avantage direct en octroyant des millions de dollars à un festival. A moins que les avantages soient indirects et que le jeu d’intérêts dépasse de loin la belle musique.

La cour des comptes nous apprendra peut-être un jour qu’une petite part de chaque facture d’électricité alimente certains comptes à un rythme plus rapide que celui des danses de Shakira…

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