Tunisie : L’industrie aéronautique poursuit son développement

EN MARGE DU SALON AEROMART TOULOUSE, LES ACTEURS TUNISIENS DE L’INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE ONT FAIT LES YEUX DOUX AUX INVESTISSEURS ACTUELS ET POTENTIELS.

Les temps ont bien changé depuis les années où l’industrie aé­ronautique européenne se cachait pour aller produire dans les pays low cost, désormais appelés « best cost ».

C’est désormais un atout dont chacun se félicite et ce n’est d’ailleurs pas le hasard si le séminaire « Tunisie », organisé en marge du salon Aeromart Toulouse 2019, était ouvert par Bernard Keller, l’ancien maire de Blagnac et actuel vice-président du Toulouse Mé­tropole.» La Tunisie contribue à maintenir à Toulouse le pôle d’excellence qui est le sien, confie-t il d’emblée. C’est du gagnant gagnant. La Tunisie est devenue un maillon essentiel de la supply chain d’Airbus. »Alors que le Maroc dispose d’une base de clientèle plus diversifiée, c’est en effet sur Airbus que la Tunisie a majoritairement misé lors du lancement de son développement aéronautique, il y a une dizaine d’années.

Tunis et Toulouse sont désormais reliés par un vol quotidien de Tunisair, sorte de navette prisée par les ingénieurs, commerciaux, développeurs, formateurs, investisseurs, qui échangent de plus en plus régulièrement entre les deux villes. Les productions, quant à elles, sont acheminées avec la même régularité entre Tunis et Toulouse par camion et bateau. « La logistique est bien rodée, explique Nicolas Larger, président de Fleuret Tunisie. Il y a deux bateaux par semaine et il ne faut pas plus de trois jours pour rejoindre Toulouse depuis Tunis. En ce qui nous concerne, nous acheminons un camion par semaine : ce n’est ni cher, ni compliqué. »

Fleuret fut un des pionniers de l’implantation en Tunisie, où l’entreprise est présente depuis 1998. « L’équation était fort simple, reprend Nicolas Larger. Pour continuer à croître, nous devions diminuer nos coûts, ce que nous pouvions faire de deux manières : l’automatisation ou la production en pays best cost. Nous avons choisi la deuxième solution, plus flexible. Ce qui a permis de nous développer en Tunisie, mais également en France, où le nombre d’emplois est passé de 20 à 110 personnes depuis notre im plantation en Tunisie. »

MULTIPLES ATOUTS

Mais ce qui fait la force de la Tunisie, c’est la multitude de ses atouts. Des pays low cost, il y en a beaucoup, mais la Tunisie a réussi avec le temps à devenir un pays « business friendly » à bien des égards, comme le rappelle Elochi Soufian, consultant en intelligence économique entre l’Europe et la Tunisie (Cabinet Knowyse) à Bruxelles. Cela fait plusieurs années que cet homme chaleu reux et convaincant sillonne la France à la recherche d’investis seurs.

« La Tunisie est avant tout un vivier de talents, explique-t il. Elle est classée au troisième rang mondial en termes de taux de diplômés de troisième cycle en sciences, ingénierie, industrie et construction. Notre enseigne ment fournit chaque année 65000 nouveaux diplômés dont 30 % sont issus des filières de l’in génierie, des sciences de l’infor matique, des communications. Nous produisons 6000 ingénieurs par an et la source n’est pas près de se tarir, avec quelque 24000 étudiants en cycles de for mation d’ingénieurs. »

L’ingénieur tunisien est en outre multilingue et doté d’un salaire mieux maîtrisé que dans d’autres pays. Le salaire moyen brut d’un ingénieur tu nisien est moindre qu’en Pologne et en Roumanie, deux fois moin dre qu’au Maroc et cinq fois moindre qu’en Espagne ou en Italie. Une prouesse rendue pos sible par la grande disponibilité de diplômés et un coût de la vie maîtrisé.

Les industriels soulignent également l’excellent état d’esprit des collaborateurs tunisiens. « Nous avons choisi la Tunisie par rapport au Maroc notamment en raison de la stabilité du pays, explique Patrick Razat, président de Me cahers. Puis il y a eu la révolution, mais nos collaborateurs ont dé­fendu l’usine, ce qui nous a incités à rester.

Les Tunisiens tiennent à leur entreprise, ils ont envie de travailler, ils sont loyaux et respectueux. Et ils sont bons, très bons. »

LOI SUR LES INVESTISSEMENTS

La Tunisie insiste également sur sa loi sur les investissements, mise en place en 2017 et qui règle l’accès au marché, la gouvernance des investissements, les primes, les résolutions des différends…

« Prenons quelques exemples des avantages proposés par cette loi, poursuit Fehmi Mili : exo nération fiscale jusqu’à dix ans dans les zones de développement régional, imposition à 10 % pour l’export, recrutement de com pétences étrangères jusqu’à 30 % des cadres, incitations financières jusqu’à 33 % du montant investi pour les projets à intérêt national, simplicité dans les procédures d’établissement au sein d’un gui chet unique, prise en charge totale des contributions sociales et patronales pour certains in vestissements ainsi qu’une partie du coût de la formation, liberté de transfert des bénéfices du ca pital et des plus-values…

Les en treprises ont beaucoup d’avan tages en Tunisie qu’elles n’auront nulle part ailleurs. »Autant d’atouts qui font de la Tunisie une terre promise avec, encore, de nombreuses oppor tunités d’investissements, notam ment dans les domaines des pièces mécaniques usinées à commandes numériques, du découpage et pliage de tôlerie fine, de l’aéros tructure métallique et fuselage, de la soudureTIG et du traitement de surface.

« Une des forces de l’industrie tunisienne, c’est qu’elle offre une supply chain de qualité, certes, mais aussi très complète, qui couvre un très large panel de compétences, explique Soufian. On peut presque tout produire localement en Tunisie et le taux d’interaction entre les différents acteurs locaux est très élevé, comme en témoigne d’ail leurs le parc Stelia où le produc teur d’aérostructures a attiré au tour de lui toute sa chaîne de fournisseurs. » Les statistiques de production montrent en effet un certain équilibre entre les dif férents domaines : travail des mé­taux (40 %), câblage (14 %),com posite (6 %), plastiques (6 %), équipements (5 %), traitement de surface (5 %)…

LE GITAS TRÈS ACTIF

Karim Chafroud, vice-président du Gitas (Groupement des in dustries tunisiennes aeronautiques et spatiales), souligne tous les in dicateurs de bonne santé de l’in dustrie aéronautique tunisienne. « Le nombre d’industriels aéro nautiques en Tunisie a été mul tiplié par huit entre 2004 et 2018 et atteint désormais 81 entre prises, dont 51 sont membres du Gitas, explique-t-il.

Et le suc cès ne se dément pas, car nous accueillons chaque année plu sieurs nouvelles entreprises. Le secteur crée en outre 1 000 à 1 500 nouveaux emplois chaque année et l’emploi a augmenté de 50 % entre 2011 et 2018 pour atteindre désormais 17 000 em plois. » Les exportations attei gnent 1,5 Md$, dont 88 % à destination de la France, mais aussi une part croissante à des tination du Royaume-Uni et des Etats-Unis.

Le Gitas, dont le président est un industriel français (Thierry Haure-Mi rande), n’est pas pour rien dans ce succès. Doté d’une structure légère et flexible, le groupement s’est im posé comme une plateforme d’échanges de bonnes pratiques essentiellement dans les domaines de la formation, de l’environne ment et de l’industrie du futur. « Nous voulons favoriser les échanges, collaborations et syner gies entre les entreprises du secteur aéronautique et spatial implantées enTunisie, explique Karim Cha froud. Cela, entre autres, pour favoriser le développement d’une supply chain aéronautique tuni sienne. Nous représentons aussi la profession auprès des autorités nationales tunisiennes et travaillons à la promotion, en Tunisie, du développement d’un environ nement favorable à l’industrie aéronautique et spatiale ainsi que l’implantation de nouvelles en treprises du domaine. Enfin, nous favorisons l’émergence de four nisseurs locaux disposant des agréments nécessaires. » C’est ainsi que la Tunisie s’est patiemment et discrètement pla cée parmi les pays qui comptent sur la carte mondiale des pro ducteurs aéronautiques.

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