Catherine Fourest* sur la presse au Maroc : Un article toujours d’actualité

Onze ans après, Ahmed Benchemsi, Boubakr Jamaï, Omar Brousky, Ali Lmrabet ont été contraint à l’exile. Tel Quel a fait allégeance au Makhzen. Le Journal Hebdo liquidé. Al Watan Alan n’existe plus. Le dernier en date, Tawfik Bouachrine, condamné à 12 ans de prison dans le cadre de la guerre toujours déclarée contre les islamistes qui ont pris le pouvoir. Rien n’a changé.

Maroc : le pouvoir royal passe ses nerfs sur la presse libre

11 août 2007

Le pouvoir royal marocain est en train de démontrer qu’il n’a toujours rien compris, ni en matière de démocratie, ni en matière de lutte contre l’intégrisme.

A moins d’un mois des législatives (7 septembre) qui signeront sans doute une percée des islamistes du PJD, au lieu de s’attacher à démocratiser pour ne pas donner du grain à moudre aux intégristes, le pouvoir tente de leur voler la vedette en matière d’autoritarisme et de moralisme en intimidant et en poussant à la censure les rares journaux marocains indépendants et donc intéressants.

Parmi eux, »Tel Quel » (20 000 exemplaires en moyenne, francophone) est sans doute le magazine dont le Maroc peut être le plus fier : irrévérencieux mais intelligent, il bouscule les habitudes et fait souffler un air frais de démocratie et de résistance au fanatisme. Notamment grâce à son jeune et talentueux directeur, Ahmed Benchemsi (33 ans).

Ahmed Benchemsi fait typiquement partie de ces énergies que les gouvernements arabes devraient encourager s’il craignaient réellement les islamistes. Las, les gouvernements arabes ne veulent pas lutter contre les intégristes, ils ne pensent qu’à verrouiller leur société, à les étouffer. Le moindre mouvement, le moindre battement d’aile, un léger souffle d’esprit libre, une plume de stylo plus légère et les voilà qui paniquent.

Benchemsi comparaîtra en justice le 24 août pour « manquement au respect dû à la personne du roi ». Il risque jusqu’à cinq années de prison. Pour avoir signé un édito caustique analysant un discours de Mohamed VI sous un titre parodoique, « Où tu m’emmènes, mon frère ? » – référence à une célèbre chanson des années 1970 -, où il interpelle directement le souverain sur le manque de démocratie et le concentration des pouvoirs au Maroc. Un article paru en français mais aussi — et c’est sans doute plus grave au yeux du pouvoir — en dirija (arabe dialectal marocain).

« J’ai donné l’impression d’avoir oublié l’étiquette, alors que je m’adressais au roi ! Je lui ai parlé comme à un homme, lui, le « Commandeur des croyants » ! Au Palais, ils ont pris cela pour une insolence, alors que mon intention n’était pas du tout d’être insultant », explique Benchemsi dans Le Monde.

Il n’est pas le seul à souffrir de la panique du régime marocain à l’approche des élections. Deux journalistes d’un autre hebdomadaire arabophone, Al Watan al-An (20 000 exemplaires), sont poursuivis pour avoir « subtilisé des documents confidentiels touchant à la sûreté de l’Etat ». Il leur est reproché d’avoir utilisé ces documents pour rédiger un dossier, publié le 14 juillet, ayant pour titre « les rapports secrets derrière l’état d’alerte au Maroc. »

Oui, décidémment, les gouvernements arabes ne comprennent rien. Les islamistes gagnent du terrain à cause du manque de démocratie et ils réagissent en serrant la visse à la presse libre capable de faire souffler un vent de démocratie et de laïcité… A croire que la menace intégriste les arrange. Face au pire, l’intolérable paraît plus acceptable.

*Caroline Fourest est essayiste, éditorialiste, scénariste, réalisatrice, co-fondatrice de la revue ProChoix (féministe, antiraciste et laïque) et chroniqueuse à MarianneElle enseigne à Sciences-Po sur « Multiculturalisme et Universalisme ».

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