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Acquitté par la CPI, Laurent Gbagbo peut-il revenir en politique ?

Le 15 janvier 2019 l’ancien président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo a été acquitté par la Cour Pénale Internationale de « crimes contre l’humanité » commis pendant la crise post-électorale. Sa libération ainsi que celle de son ancien ministre Charles Blé Goudé ont été suspendues dès le lendemain par le procureur général de la Cour. C’est une étape vers la remise en liberté et la réhabilitation publique d’un homme politique dont l’action est liée à la seule guerre civile de l’histoire de la Côte d’Ivoire.

Depuis que sa libération paraît inéluctable, le retour politique de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire ne semble plus invraisemblable. La crise post-électorale qui entraîné la mort de milliers d’Ivoiriens mais aussi un déferlement de haine contre les expatriés Français entre décembre 2010 et avril 2011 ne risque-t-elle pas de se réenclencher à l’occasion du prochain scrutin présidentiel s’il met en compétition en 2020 les mêmes candidats qu’en 2010 ?

Il y a huit ans, deux présidents ivoiriens prêtaient serment chacun de leur côté. Tandis que le président sortant Laurent Gbagbo voyait sa victoire légitimée par le Conseil Constitutionnel de la République de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara était proclamé président par la Commission Électorale Indépendante avec le soutien de l’ONU, de la CEDEAO, de l’Union Africaine, de États-Unis, de la France. Le pays, déjà scindé territorialement en deux depuis 2002 connaissait une énième convulsion, cinq mois d’affrontements meurtriers (3000 morts selon les Nations Unies) entre civils, militaires et paramilitaires des deux camps. Des charniers furent découverts dans plusieurs villes.

Cette guerre civile a pris fin avec l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 par les forces armées d’Alassane Ouattara, appuyées par les forces spéciales françaises et celles de de l’ONU. La privation de liberté, l’éloignement et le discrédit de Laurent Gbagbo apparaissaient alors comme des conditions nécessaires pour que le régime d’Alassane Ouattara s’installe et assure le retour à l’ordre en Côte d’Ivoire. Mais huit ans après la fin de la crise post-électorale, l’acquittement de l’ancien président par la CPI intervient dans un nouveau contexte, où l’exercice du pouvoir ne semble plus à portée de main.

D’abord, la libération inconditionnelle de Laurent Gbagbo par la CPI est très incertaine. Pour l’instant les procureurs de la CPI ont seulement déclaré accepter l’éventualité de sa remise en liberté dans un pays-membre de la CPI, à l’exception de la Côte d’Ivoire. Et dans le cas – peu probable – d’une libération inconditionnelle de Laurent Gbagbo par la CPI avant l’échéance présidentielle, l’ancien président devrait alors faire face une nouvelle épreuve judiciaire, celle de l’affaire du « braquage » de la banque de la BCEAO : la cour d’assises d’Abidjan l’a condamné l’année dernière à quinze ans de prison et à 500 millions d’euros d’amende à payer solidairement avec trois autres accusés. Or, pour être candidat à la présidentielle, Laurent Gbagbo doit « jouir de ses droit civils et politiques » (article 55 de la Constitution ivoirienne).

Ensuite, Laurent Gbagbo n’occupe plus une place centrale dans la politique ivoirienne ni dans l’opposition au pouvoir en place, il ne dispose plus d’une organisation politique puissante à sa main, prête à conquérir le pouvoir. Le parti qu’il a fondé et qui l’a porté à la présidence, le Front Populaire ivoirien, n’est plus qu’une force de second rang qui envisageait jusque récemment une alliance avec le PDCI-RDA du président Henri Konan Bédié pour exister aux prochaines présidentielles. En outre, Laurent Gbagbo n’en est plus le chef légal, c’est Pascal Affi N’Guessan, arrivé second aux élections présidentielles de 2015, qui le dirige au quotidien et il ne semble pas prêt à céder sa place.

Cette nouvelle donne judiciaire, juridique et politique réduit fortement les possibilités d’un éventuel retour de l’ancien président ivoirien en Côte d’Ivoire mais elle ne l’empêche pas pour autant de s’exprimer pour continuer à influencer le cours des événements. Mais pour dire quoi ? En apparence, son acquittement par la CPI après sept ans de détention préventive à La Haye semble donner du crédit à la posture qu’il a adopté depuis le début de son procès, se présentant en figure de l’anticolonialisme moderne, comme une victime de l’injustice des grandes puissances, à la merci d’une justice des vainqueurs. Cependant son acquittement ne lui permet pas d’attaquer la légitimité de l’élection du président Ouattara en 2010, puisqu’il porte sur la nature des exactions commises après sa contestation des résultats électoraux. D’autre part, le discours autonomiste et révolutionnaire qui le distinguait semble de plus en plus inapplicable à la situation politique et économique ivoirienne. Huit ans après son départ, la dépendance économique de la Côte d’Ivoire aux investissements étrangers s’est considérablement accrue : le Maroc est devenu le premier investisseur étranger du pays, la Chine son premier partenaire commercial et on y dénombre deux fois plus de Français. Enfin, le cadre sécuritaire n’est plus du tout le même : les crises ivoirienne et sahéliennes de cette dernière décennie ont renforcé la présence des troupes françaises en Afrique de l’Ouest : 900 Forces Françaises en Côte d’Ivoire (FFCI) sont implantées à Abidjan, on dénombre 350 éléments au Sénégal voisin et 3500 militaires déployés par l’opération Barkhane dans toute la sous-région.

Laurent Gbagbo n’est pas prêt d’être en liberté et il lui sera difficile de présenter sa candidature en 2020 comme de revenir à la tête de son ancien parti. Néanmoins son acquittement a renforcé sa parole et l’annonce précipitée de sa libération a permis de mesurer combien sa réputation passionne et partage toujours profondément les Ivoiriens en deux camps opposés. L’ancien président pourrait donc jouer un rôle influent au cours de la prochaine présidentielle, en participant par exemple à faire basculer le pouvoir en faveur du président du PDCI Henri Konan Bédié, au détriment de son ancien adversaire le président Alassane Ouattara. Reste à savoir quel discours il choisira d’adopter : celui de la revanche ou celui de la réconciliation.

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