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L’évolution de l’organisation des paysans pauvres au Maroc

Par Amal Lahoucine

De la lutte spontanée à l’organisation syndicale

Après cinq ans de lutte paysanne spontanée au barrage Aoulouz les paysans pauvres ont eu accès à l’organisation, l’association paysanne Ifgheln était fondée le 27 avril 1997. Puis ils ont lutté trois ans pour le droit à l’organisation, et en mars 2000 l’association a eu son reçu de dépôt.

La première activité publique de l’association fut l’organisation de la conférence encadrée par le militant Abraham Serfaty à la salle des conférences de la commune d’Aoulouz avec la participation de 14 associations. Les débats étaient riches, et le conférencier a découvert que le mouvement a connu une évolution remarquable. A la fin de cette activité, Serfaty a établi les premières bases de la lutte paysanne dans le Souss : le droit à la terre, à l’eau, à la protection de l’arganier et le développement de l’amazighité. Au cours de ses discussions internes avec les paysans il a proposé la fondation du syndicat paysan.

Le premier bureau syndical paysan est fondé à la fin de la deuxième conférence encadrée par des militants du syndicat UMT de Taroudant, le 23 mars 2002 à Aoulouz.

Le syndicat paysan a écrasé la marginalisation qui régnait dans la région depuis un demi-siècle, les paysans pauvres se positionnent contre les intérêts des survivances du féodalisme. Ils ont développé de mieux en mieux leurs méthodes d’organisation à mesure qu’ils ont pris davantage conscience.

Les conclusions de la conférence ont ouvert une issue plus large au mouvement des paysans pauvres, l’ampleur se développant au niveau de la rivière de Souss.

L’ampleur du mouvement au niveau national

La conférence organisée par l’association Fous G Fous à Ait Bouayach à côté d’Al Hoceima, présidée par le militant Lahoucine Amal le 08 aout 2008 a complété les bases de la lutte paysanne affirmées à Aoulouz, reliant la lutte paysanne du Nord à celle du Sud.

Si l’arganier est la caractéristique des ressources forestières au Sud, le cannabis est à la base de la lutte paysanne au Nord.

La confirmation des bases du mouvement paysan au cours de cette conférence a fondé les bases théoriques de la lutte syndicale paysanne et a consolidé son saut qualitatif au niveau national.

Les jeunes militants d’Al Hoceima ont renforcé l’évolution de ce mouvement en luttant dans l’esprit du martyr Kamal El Hassani assassiné le 27 octobre 2011, l’un des jeunes leaders militants bassistes qui ont soutenu le mouvement des paysans pauvres de Tamsint et la libération des jeunes leaders militants détenus de la marche du 19 mai 2005 écrasée par les forces de répression.

Quatre années de lutte au niveau national étaient suffisantes pour donner naissance au syndicat national des petits paysans et professionnels forestiers le 23 juin 2012. Un saut qualitatif dans l’évolution du mouvement syndical paysan à l’apogée de l’évolution du mouvement 20 février.

Le syndicat paysan face à la nouvelle ère de torture

Le congrès syndical des régions Souss Massa et Guelmim Ouad Noon organisé le 02 janvier 2016 à Agadir a complété les bases de la lutte paysanne : pour le droit à la terre, à l’eau et aux ressources naturelles contre les lois coloniales et les spéculations immobilières.

La lutte pour le droit à l’organisation à Guelmim a pris son ampleur contre la mafia immobilière à Ait Bâamran après la déclaration de l’assassinat du martyr Brahim Saika le 15 avril 2016. Toutes les manifestations du syndicat paysan étaient organisées dans l’esprit du martyr Brahim Saika après l’assemblée générale des paysans pauvres de Sidi Ifni à Mesti le 15 mai 2016.

Au sit-in national organisé par le syndicat paysan devant le parlement le 28 décembre 2017, Mey Aicha, la mère du martyr Brahim Saika, martyr de la lutte contre la mafia immobilière dans la région Guelmim Oued Noon, a lancé un appel à toutes les organisations de droits de l’homme au niveau national et international. Elle a revendiqué l’intervention de la justice dans l’affaire de son fils qui est toujours en tête de l’ordre du jour de la lutte du syndicat paysan. Elle est effondrée avant de finir son allocution, c’était un moment difficile !

Mey Aicha, a défendu ce dossier depuis plus de deux ans, en vain. Les spéculateurs immobiliers sahraouis ont tenté à plusieurs reprises de liquider l’affaire, mais Mey Aicha est une femme paysanne qui préfère mourir de faim plutôt que trahir le sang du martyr.

Une lutte intérieure au sein du syndicat contre les opportunistes soutenus par la bureaucratie est lancée. Deux ans de lutte de la double tendance, à l’intérieur pour bien s’organiser et à l’extérieur contre la mafia immobilière.

Depuis les arrestations des leaders du Hirak du Rif, toutes les manifestations sont écrasées et leurs leaders sont arrêtés et poursuivis. Une nouvelle ère de répression organisée par l’État s’est ouverte au Maroc comme suite de la guerre en Syrie. Une répression soutenue par les instances dirigeantes de l’Union européenne, en particulier par la France, après la visite de monsieur Macron au Maroc en juin dernier pour soutenir le régime marocain, qui a appliqué et suivi dès lors la logique de la matraque contre les manifestants et ouvert les portes de ses prisons.

Une analyse de cette situation critique nous conduit à conclure que les membres de l’Union européenne, en particulier la France, soutiennent les spéculateurs immobiliers marocains contre les intérêts des paysans, avec leurs dons et crédits pour soutenir les politiques anti-démocratiques du régime marocain. Le peuple marocain est endetté à hauteur d’environ 68 milliards de dollars, tandis que des millions d’euros traversent la Méditerranée chaque jour sous forme de produits miniers, agricoles et halieutiques exportés, sans que les paysans en bénéficient. Aujourd’hui ils se retrouvent chassés définitivement de leurs terres, par une politique de véritable ségrégation, d’apartheid.

Cette situation critique permanente provoque une ébullition qui se manifeste chaque jour sur divers fronts d’action populaire, et fait des victimes et des prisonniers, en premier lieu chez les paysans.

La détention du militant Zaidakrayout (Un an de prison ferme) leader du sit-in des paysans de Tamtatouchte au barrage Toudgha région de Tinghir, durant 57 jours avant d’être écrasé par les forces de répression le 10 janvier 2017, contre le dit barrage touristique sur leurs terres. Ce qui a proqué au sein du syndicat paysan la tendance à la lutte dans l’esprit de Zaid Ohmad leader de la résistance de DjeblBaddou au sud-est contre le colonialisme français.

Une lettre a été envoyée à Monsieur le Secrétaire général du Parlement européen et M. le Président de la Sous-commission « droits de l’homme ».

Au cours de 25 ans le mouvement paysan a pu établir ses principes fondamentaux et mettre en œuvre son programme de militantisme.

L’organisation du sit-in national devant le parlement le matin et la réunion du conseil national le soir le 28 décembre 2017 au siège de l’UMT à Rabat, étaient deux événements significatifs de la victoire de la lutte syndicale paysanne.

Au cours des préparations au premier congrès national deux grandes conférences ont été organisées :

La première le 27 juin 2018 à Guelmim à la maison de la mère du martyr Brahim Saika au cours de laquelle on avait déclaré nos positions sur la décision de la fondation d’un autre syndicat paysan à l’UMT.

La deuxième le premier juillet 2018 à Al Hoceima lors de laquelle on avait confirmé les conclusions de la première conférence et lancé le programme du premier congrès national tenu le 23 juillet 2018.

Une nouvelle phase décisive dans la vie du syndicat paysan s’est ouverte. La phase exécutive du programme lancé par le premier congrès national qui a été confirmée au cours de la première réunion du nouveau bureau national tenue dans l’esprit du martyr Brahim Saika le premier août 2018 à Agadir et lancée au cours de la deuxième réunion tenue dans l’esprit du martyr Kamal El Hassani le 21 octobre 2018 à Meknès qui contient deux dimensions :

– La stratégie de l’organisation de conférences syndicales agricoles dans les régions et provinces sur les grandes questions relatives au droit aux ressources naturelles en relation avec la lutte contre la mafia immobilière et de la drogue.

– La stratégie des médias à travers la diffusion et la re-publication des activités organisationnelles de notre syndicat depuis le mouvement spontané des paysans pauvres du barrage Aoulouz des années 1990 jusqu’au premier congrès national.

La lutte continue au niveau intérieur contre :

– Le conflit interne de l’UMT de la dite correction et démocratie en tant que forme de règlement des comptes personnels. Deux pôles ont été créés pour masquer le vrai conflit qui est conduit réellement par des militants démocrates sur la vraie démocratie dans laquelle notre syndicat est impliqué depuis la création en 2002.

– La fondation d’un autre syndicat national des paysans au sein de la fédération nationale du secteur agricole UMT, supervisé par des ingénieurs et des techniciens, avec l’appui de l’un de ces pôles, dont le but est de liquider le syndicat national des petits paysans et professionnels forestiers.

– La décision de rejet du dossier de notre syndicat prise par le membre du secrétariat national de l’UMT qui est chargé de la coordination avec notre syndicat, après le succès énorme du premier congrès national. Un acte qui viole les engagements de l’UMT au sein de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) dont il constitue un des membres engagé à respecter ses conventions.

Un front extérieur est ouvert

– La bataille au tribunal administratif de Casablanca Dossier n° 393/7110/2018. La première audience a eu lieu le 23 octobre 2018 contre la décision de refus de reçu de dépôt, contre les autorités de Casablanca Anfa en tant que forme de défense des libertés syndicales devant la justice, sans oublier la lutte devant les instances internationales dont l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en est un membre.

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