Poème en hommage aux deux touristes scandinaves assassinées au Maroc

                        Honte à nous ! 

Dommage, vraiment dommage,

Que de leurs beaux petits pieds,

Blondes Vikings aux yeux bleus, antiques, sans âge,

Jeunes, gaies, seules, mais braves,

Entourées seulement d’Elfes et de Willis jouant de la flûte un doux ramage,

Deux anges scandinaves,

Vinrent fouler d’Imlil (1) l’herbe sauvage,

S’enivrer des effluves blanchâtres que silencieux fumaient ses verdoyants et larmoyants pâturages,

Goûter en secret à leur incroyable idylle, la vivre en paix, librement, sans ambages !

Qu’elles étaient belles, quand radieuses elles riaient !

Comme les prunelles de leurs yeux de joie indicible brillaient !

Combien elles séduisaient les fleurs, les oiseaux, les abeilles, les papillons,

Quand du géant, de l’indomptable Toubkal (2) elles allaient caresser

l’abrupte flanc !

Elles illuminaient le ciel plus que ne le faisait le soleil ;

Elles seules savaient du jour par un rire sonore annoncer le réveil ;

Une coutume ancestrale, vieille,

Voulait que toujours libre leur race erre,

Au-delà des vastes mers, partout où les humains sont soeurs et frères…

Mais elles ne savaient pas,

Qu’au détour de cette extraordinaire féerie,

Les attendait un ignoble, un vilain trépas ;

Que par-ici on sème la haine et récolte la barbarie…

Non, elles ne savaient pas,

Que jamais elles ne reverraient,

Ni leurs magnifiques mamans, ni leurs doux papas,

Ni les amis qui les adoraient,

Ni les fêtes du solstice et le beau sapin que d’étincelantes guirlandes on drappa…

Qui est heureux, aujourd’hui?

Les parents qui pleurent leur coeur qui à jamais fuit ?

Les vaillants Vikings qui essuient de leurs filleules le lâche déshonneur ?

Nous autres, qui n’avons rien fait,

Et impuissants, nous émouvons de ces tristes faits ?

Les papillons, les abeilles, les oiseaux, les fleurs ?

Ou ces faux-musulmans qui de l’Amour sont de fervents égorgeurs,

Qui, à l’image de nos piètres et nuls dirigeants,

De l’obscure ignorance, de l’esprit superstitieux font une raison ?

Ô humiliante, ô infâme, ô avilissante honte !

Si vous voulez que je ne mente,

Je vous hais, peuple ignare,

Qui ose encore garder la tête haute,

Et bombe le torse et vote pour ces têtes de lard,

Qui notre honneur traînent dans la boue,

Et quand c’est déjà trop tard,

Quand mon orgueil est souillé, je l’avoue,

Je ne me sens plus marocain, ni content d’être parmi vous…

D’un humble, un faible, un simple personnage,

Acceptez, Mes belles demoiselles, tous les honneurs, tous les hommages !

Que vous soyez musulmanes, juives, ou chrétiennes,

Que vous soyez bouddhistes, athées, et lesbiennes,

Vous êtes de petites soeurs que j’ai perdues,

Je vous pleurerai toute la vie,

Et maudirai pour l’éternité la sale ignorance qui votre jeunesse vous a ravie,

Dans l’immensité des cieux, il y a Le Bon Dieu,

Et au Paradis, votre innocence vous sera rendue…

Mohammed Talbi –

1/ Village situé dans les régions de Marrakech.

2/ La montagne la plus haute de tout le Maroc, sise dans les environs de Marrakech. Ce fut à son pied qu’eut lieu le drame.