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Interview du princi Hicham avec France 24 (09/04/2014)

ETIQUETTES : MAROC, PRINCE HICHAM, HICHAM ALAOUI, MOHAMMED VI,

Moulay Hichal El Alaoui, le « prince rebelle » du Maroc

Notre invité aujourd’hui est le prince Moulay Hicham El Alaoui, cousin germain du roi du Maroc Mohammed VI, surnommé souvent le « Prince Rebelle » ; Il sort un livre qui sent la poudre, « Journal d’un princi banni » (Editions Grasset). C’est une plongée inédite au sein de la famille royale marocaine, un portrait intime, un portrait sans concession de Hassan II et de Mohammed Vi. C’est surtout une dénonciation sans appel des dérives de la monarchie. Une monachie avec qui Moulay Hicham, qui vit aux Etats-Unis depuis 2002, est plus que jamais en guerre ouverte. Lui qui est pourtnat le troisième en ligne pour le trône.

C’est un livre très riche, plein d’anecdotes inédites, sur Hassan II notamment, sur ses collères, ses manigances, ses humiliations, parfois ses doutes aussi, mais c’est surtout un livre dans lequel vous estimez que malgré les dérives dictatoriales de Hassan II, c’était un vrai roi, c’était surtout un meilleur roi que Mohammed VI. Vous dites, par exemple que le roi qui brisez les os a été remplacé par le roi qui brise les rêves ; C’est un verdict très dure contre le roi Mohammed VI.

Prince Hicham : Je vais d’abord ajuster quelques-unes de vos évaluations et de vos appréciations. Ca ne sent pas le souffre, ou àa ne sent pas la poudre, ça sent plutôt l’acide. C’est pas un livre explosif, c’est un livre corrosif. Il ne va pas à l’encontre de la monarchie, mais il va à l’encontre du Makhzen le système traditionnel. Finalement, il ne fait pas un portrait de Mohammed VI, il fait un portrait de Hassan II et, en l’occurrence, un portrait en creux de Mohammed VI. Dernière chose, la thèse de ce livre c’est que Hassan II a posé les jalons de la libéralisation, Mohammed VI, a pris le relais, il a continué dans cette libéralisation, mais néanmoins, il a adopté le langage de la libéralisation politique sans, pour autant, aller au fond de la démarche.

–         C’est vrai, c’est un portrait en creux, il y a beaucoup plus d’anecdotes de Hassan II   avec qui vous avez eu des rapports avec des hauts et des bats, mais je vais quand même lire ce que vous dites sur Mohammed VI. « Il s’est montré infinimment plus sympathique que son père mais peut-être aussi infinimment moins roi . Sortis de la dictature sous Hassan II, nous nous sommes laissés étouffer sous l’édredon mou du roi des pauvres (qui a été le surnom de Mohammed VI). C’est quand même un verdict très dure. Vous êtes très déçu, vous espériez, lorsque Hassan II meurt en 1999, que Mohammed VI allait être le roi réformateur. Ce n’est pas le cas.

P.H. : Ce livre est, avant tout, un bilan, pas de ce qu’on a fait. On a fait beaucoup. Mais c’est surtout une critique de ce qu’on aurait pu faire, qu’on n’a pas fait. Et le manque a gagner, le coup d’opportunités est énorme pour le Maroc, et c’est ce que ressort dans ce livre.

– alors vous dites que la monarchie est menacée parce qu’elle ne peut pas continuer en tant que telle. Pour vous, la monarchie au Maroc est en danger de mort lente ou rapide ?

P.H : Je dis tout simplement que le système khalifal marocain dans sa version traditionnelle qui est le Makhzen, est un briquet où se trouve dans une relation organique avec la monarchie et il est en train de l’étouffer. Les deux se servent mutuellement, mais c’est un signe d’une certaine conception de la monarchie, la monarchie absolutiste qui, elle, est nourrie par le Makhzen et pas la monarchie démocratique dont peuvent les marocains aspirer. Celle-ci est menacé, celle-ci ne voit pas le jour, ne connait pas une éclosion, mais la monarchie tout court est, je trouve, menacée par cette chose, par son jumeau que j’appelle siamois prédateur et rapace qui est le Makhzen.  Et c’est justement déconstruire cette relation symbiotique et organique qui est tout l’enjeu pour le Maroc.

– Mais est-ce que c’est possible ? Vous dites, vous-mêmes, que c’est indissociable cette espèce de magma d’intérêts qui d’après vous, en sert le monarchie, est-ce qu’on peut les séparer, ou est-ce que si vous enlevez l’un l’autre va partir avec ?

P.H. : Je vais d’abord commencer par la mise à défaut. Si on tente pas quelque chose, à terme ce système arrivera, connaîtra une crise ouverte, il est déjà dans une impasse. Mais je vous rappelle aussi que ça a été fait dans d’autres endroits. Ca a été fait en Angleterre, ça a été fait en Hollande, en Espagne.

– Des monarchies constitutionnelles avec un roi sans pouvoir.

P.H. : Sans pouvoir, mais cela paraît comme étant négatif. Mais un roi avec un pouvoir moral est un énorme pouvoir.

– Pour vous, le roi Mohamed VI n’est pas un roi démocrate ?

P.H. : Pour moi, Mohammed VI est à la tête d’une monarchie qui sur le papier n’est pas encore une monarchie constitutionnelle. Je ne vais pas lui faire un projet d’intention, je suis un politologue et je suis un marocain. Je peux voir ce que le marché nous livre.

– Vous avez parlé d’un espoir déçu. Il a quand même fait des réformes…

P.H. : Je vais vous donner un exemple. Il a établi l’IER, l’Instance d’Equité et de Réconciliation,  sous la direction de Driss Benzekri. Cette instance a posé les jalons et a fourni un certain nombre de recommandations à savoir, et notamment, pour séparer le fonctionnement des services et de l’appareil de sécurité de la décision politique et de la mettre sous le contrôle parlementaire. Ces recommandations que Mohammed VI, en quelque sorte, a demandées, n’ont pas été appliquées et le résultat nous le voyons. Nous voyons des salafistes maltraités pendant la guerre contre le terrorisme de Bush. Nous la voyons dans l’affaire de Zakariya Moumni et nous voyons dans beaucoup de choses. Nous voyons une plainte déposée contre le patron de la DST au Maroc. On est dans le réel.

– Qui est fautif ? Est-ce que c’est le roi ou son entourage ? Vous critiquez très directement son entourage ou est-ce que c’est finalement comme c’est le roi le monarque absolu au Maroc c’est lui le fautif.

P.H. : Je ne le dis pas assez, mais le problème au Maroc c’est une responsabilité partagée. La classe politique marocaine, les élites, ont été lamentables aussi.

– Y compris celles qui ont accepté la « cohabitation » avec le roi …?

P.H. Toutes les élites ont eu des défaillances. Moi-même j’ai eu des défaillances. Nous sommes tous responsables de cette situation, mais à qui revient la responsabilité historique de mettre le Maroc sur la trace, pas de la modernisation parce qu’on est dedans, mais de la modernité ? In fine, peut-être pas de jure, mais in fine, la responsabilité de la tâche revient au Chef de l’Etat et au titulaire de la monarchie, à savoir le roi Mohammed VI.

– Alors, dans ce livre, il y a beaucoup de souvenirs. Vous parlez de ces dérives, certaines auxquelles vous avez participé, vous parlez notamment de ce que vous appelez le trafic qui était pratiquée par tous les membres de la famille royale, y compris l’actuel roi. C’est quoi ?

P.H. : Je parle de moi-même, je décris ma vie, je dis simplement qu’à un moment de vos vies, nous avons voulu nous affranchir économiquement. Etant donné le contrôle extrême de Hassan II, parce que Hassan II était un personnage extrêmement complexe, c’est pas seulement un dictateur, c’est un homme autoritaire avec beaucoup de facettes complexes. Il fallait survivre et chacun a eu droit à des magouilles.

– Et ça continue à magouiller ?

P.H. : Ca je ne sais pas. Je suis plus dedans mais je suppose que oui.

– Je vais y revenir. Il y a beaucoup de souvenirs historiques. Vous parlez des doutes qui assaillent, par exemple, Hassan II après des tentatives de coup d’Etat. Il a l’impression qu’il a échoué. Une scène très forte où il se tape la tête contre le mur, littéralement, mais je vais en revenir à un autre moment de l’histoire important, c’est Mehdi Ben Barka, l’opposant marocain enlevé à Paris en 1965, son corps n’a jamais été retrouvé. On a tout dit, que c’était un meurtre orchestré par le Maroc, un enlèvement qui a mal tourné. Vous dites que non  seulement il a été assassiné sous les ordres de Hassan II mais que celui-ci a, littéralement, réclamé sa tête. Je vais lire ce que vous écrivez : « J’entendais mon père dire que, pour lui, qu’il ne faisait aucun doute que Ben Barka avait été tué par les services secrets marocains. Plus précisément, j’ai grandi avec une histoire murmurée, un secret chuchoté dans le premier cercle, la tête de Ben Barka a été ramenée et présenté à Hassan II. Un discours qui vient d’un récit du docteur personnel du roi.

P.H. : Il s’agit encore d’être exact. En droit, il existe une chose qui s’appelle la présomption d’innocence, mais en histoire il existe aussi les récits et les sources. C’est une chose avec laquelle nous avons grandis. C’était la tradition orale et verbale dans la monarchie, mais il y a aussi le livre de Clairet qui s’appelle, je pense, « Le Cheval Blanc ». Ce sont des faits relatés du point de vue du Docteur Clairet. Donc, je rapporte ça parce que c’est un livre de vérités, c’est pas un livre de complaisance.

– D’accord, mais quand vous dites quelle est la part de responsabilité du roi, vous dites, « le tête rapportée à Hassan II pèse lourd ».

P.H. : Je dis si en fait ça se prouve ça pèse lourd, voilà exactement ce que j’ai dit. Il y a un point d’interrogation et je parle de Hassan II et je dis grand roi avec sa partie de gloire mais sa partie de nuit aussi.

– Alors, vous, on se demande, à quoi vous aspirez ? Vous dites je ne m’interdis rien. Vous espérez encore que la monarchie peut se sauver, qu’est-ce que vous allez faire ? Est-ce que vous pensez, par exemple, vous lancer en politique ? Quelle est votre contribution ? Vous dites « je suis prêt », mais prêt à quoi ?

P.H. : J’ai pas dit que j’étais prêt. J’ai dit que je m’interdis rien. Ce qui veut dire que je suis prêt à contribuer un jour, je ne me mets pas en réserve, mais je m’interdis de me priver de quoi que ce soit. Je dirai tout simplement comme j’ai dit dans le journal Le Monde, si cela devait être le cas, ça n’arrivera pas sans doute pas à l’intérieur de la monarchie ou sans doute pas à l’intérieur de ma famille. J’ai quitté ma maison qu’est le Palais Royal, encore ma demeure familiale et pas politique. Cela veut dire tout simplement que le contribution, si on doit être positif. Vous savez, on peut dire aussi en France qu’on va aller chanter la Marseillaise dans l’Arc de Triomphe et pour autant tout va rentrer dans l’ordre. Non, il faut être réaliste. Il y a des moments où une action venant de ma part peut parasiter la situation, parasiter le démocrate, moi je veux bien parasiter le Makhzen, mais je veux surtout pas parasiter le démocrate et une dynamique démocratique qui peut s’installer.

– Pour l’instant, on n’est pas là.

P.H. : Pour l’instant, si, quand même. Il y a eu des courants démocratiques, une gestation démocratique, mais en des termes exactes, tout cela s’était estompé après 2011.

– Dernière question : Vous avez subi des intimidations, vous le racontez dans le livre, dans votre bannissement. Est-ce que vous continuez à en subir ? Est-ce que vous craigniez d’en subir à cause précisément de ce livre ?

P.H. : Je ne les crains pas. Je les attends comme tout démocrate, comme toute personne qui a des principes. Je les attends et je me défendrai. Sans pour autant me lamenter, sans pour autant en faire écho, parce que j’ai autre chose à faire avec mon temps.

– Vous êtes optimiste pour l’avenir du Maroc ?

P.H. : Je suis de nature optimiste.

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