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Quand l’armée algérienne est courtisée

par Abed Charef

Cela n’arrive pas tous les jours, et les militaires algériens doivent se demander ce qui leur arrive : tout le monde se met à vanter leurs mérites et à flatter leur ego. 
Ah ! Qu’elle est belle, l’armée algérienne ! Puissante, bien équipée, bien entrainée, bien formée, et surfant sur une expérience inégalable dans la lutte antiterroriste. Une armée modèle. Ce ne sont pas seulement les dirigeants algériens qui le disent, mais le discours est désormais relayé par les visiteurs et commentateurs étrangers, qui s’extasient devant cette institution incontournable. 
Les visiteurs étrangers, diplomates et hommes politiques, ont introduit cet « élément de langage » dans leurs déclarations publiques. Ça ne coûte rien et ça peut rapporter gros. Responsables américains et britanniques, par exemple, évoquent systématiquement l’expérience « inégalée » accumulée, selon eux, par l’armée algérienne dans la lutte antiterroriste. Nombre d’entre eux, y compris les meilleurs spécialistes du renseignement et les barbouzes les plus chevronnés, affirment qu’ils viennent en Algérie pour « apprendre », ce qui flatte l’égo de leurs interlocuteurs algériens, hommes politiques ou journalistes. Après sa révolution modèle, ses échecs économiques exemplaires, sa guerre civile unique, son expérience démocratique tout aussi unique dans le monde arabe, voici donc l’Algérie qui se retrouve érigée en modèle presque universel. 
Mais depuis quelques semaines, un nouveau palier a été franchi. C’est, désormais, à l’armée algérienne que sont directement adressées les louanges. Au détour d’une analyse, un expert en a fait « la plus forte armée de la région, la mieux équipée d’Afrique et du monde arabe ». Les armées sud-africaine et égyptienne sont dépassées, celles du Nigéria et du Maroc ne méritent même pas d’être citées, et l’équipement de l’armée saoudienne est dérisoire. Avec ses Sukhoi, ses chars dernier modèle et ses récents équipements, obtenus grâce à un budget pharaonique, elle a fait son entrée dans le gotha des armées mondiales. 
Pourquoi tant de sollicitude ? Tout simplement pour dire que l’armée algérienne doit absolument intervenir au Mali. Cette armée, qui « a combattu les terroristes avec le fer et le feu », et réussi à « endiguer la menace islamiste » en territoire algérien, « doit aller plus loin dans sa logique de lutte antiterroriste, en soutenant une intervention chez son voisin malien », écrit ainsi un éditorialiste. Du reste, l’Algérie pourrait-elle refuser « un devoir d’assistance à un peuple en danger », alors qu’elle a « un devoir d’implication active dans la résolution de la crise au Nord Mali » ? 
Non. Il faut le dire simplement : « l’Algérie à un devoir d’intervention au Nord-Mali ». Parce qu’elle constitue la puissance régionale qui a, non seulement les hommes, mais aussi les moyens, pour réduire au silence » les terrorismes d’Al-Qaïda, d’Ansar Eddine et du Mujao. Et si ces arguments ne suffisent pas, on fait appel à la virilité des Algériens, car leur refus de participer à une intervention militaire constituerait une « mollesse » que « rien ne justifie ». 
Résumons-nous : « une intervention militaire au Mali ne peut se faire sans l’Algérie », nous assure-t-on. « La participation de l’Algérie est capitale » à toute opération militaire, mais celle-ci ne doit pas se limiter au volet logistique. Certes, « l’apport logistique promis par l’Algérie en cas d’intervention militaire n’est pas insignifiant. Mais en plus du matériel et de la technologie, il faut des hommes pour s’en servir et pour aller sur le front, et la contribution de l’Algérie, voisine stratégique du Mali, est attendue à ce niveau aussi ». 
Un journaliste, s’adressant à M. Abdelkader Messahel, a clairement montré l’état d’esprit qui domine la question malienne. « L’Algérie est un acteur clé dans la sous-région. Peut-elle continuer à ne pas vouloir intervenir au Mali ? », lui a-t-il demandé. Entendre par là : une intervention militaire algérienne dans un pays voisin est une chose normale, naturelle. A l’inverse, une non-intervention serait une erreur, anomalie, et même une horreur. D’ailleurs, comment peut-on ne pas intervenir quand ces fanatiques d’Ansar Eddine détruisent les mausolées de Tombouctou et appliquent la charia ? Et quand un dirigeant algérien s’est laissé à parler d’intervention militaire, un éditorialiste a écrit, plein d’enthousiasme, que « le dernier verrou qui bloquait une intervention militaire vient de sauter » dès lors que « l’hostilité de l’Algérie quant à la solution armée » s’était estompée. 
Tout le monde tient le même discours. Sur le très influent site rue89.com, on considère que l’Algérie est « le leader incontesté de la zone », mais on déplore qu’elle « joue un rôle « ambigu ». Pour appuyer cette sentence, on fait appel à des experts, comme Pierre Boilley, responsable du Centre d’études du monde africain (Cemaf), pour lui dire: « l’Algérie est un acteur important dans la région ? ». « Oui, en effet, répond-il. Elle a le budget et les forces militaires suffisantes pour écraser Aqmi, surtout si elle coordonne son action avec des pays comme la France et les Etats-Unis qui disposent d’une bonne logistique ». 
L’économiste Mourad Goumiri, président de l’Association pour la promotion des études de sécurité nationale, s’est demandé pourquoi cette campagne qui veut convaincre que « la puissante armée algérienne» ne fera de la rébellion au Mali qu’«une bouchée». Aujourd’hui, on reconnait à l’Algérie ce statut de puissance régionale courtisée. Mais quand les Occidentaux avaient décidé d’attaquer un autre pays voisin, la Libye, ils n’avaient ni informé ni consulté l’Algérie. 
Peut-être faut-il alors sortir de la politique, et revenir à la vieille tradition des fables, pour se demander pourquoi toutes ces flatteries, qui frisent la déclaration d’amour, à l’adresse de l’armée algérienne ?

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